5 juin 2014

Ma première rentrée de directrice d'école

Je n'en parle pas beaucoup, parce que je n'écris pas le journal d'une directrice (presque) comme les autres, mais tout de même, cela fait partie de ma vie, et a forcément une influence sur ma vie de maman, et la vie de ma famille.
Même bien plus importante que je ne pensais.

Mon ami directeur, vous savez, celui qui sent le mammouth, ayant décidé de quitter la fonction, je saute sur l'occasion pour tenter l'expérience de la direction d'école.
C'est une petite école d'un village de campagne (enfin, si proche de Paris, c'est de la pseudo-campagne ; pas la Beauce ou la Creuse), avec cinq classes.
L'amusant de l'histoire, c'est que j'y ai été moi-même élève, et que dès que je prends mes fonctions de directrice, c'est avec émotion que j'écris à mon maître de CM2, ancien directeur de l'école, parti à la retraite il y a une vingtaine d'années. Je me retrouve comme une petite fille à lui annoncer dans une jolie lettre que j'ai pris la place qu'il avait occupée bien avant moi, et que je compte lui faire honneur dans cette importante mission.

C'est malheureusement sans compter sur l'évolution des mentalités et de la société.
Là où avant les directeurs d'école avaient une certaine liberté d'agir accordée par leur hiérarchie, un transfert de responsabilité des parents pour les enfants qu'ils confiaient et une reconnaissance de leur mission de la part du public, nous voilà aujourd'hui à crouler sous une charge administrative énorme et souvent inutile, certains parents qui sont parfois suspicieux voire peu cohérents par rapport à notre devoir de responsabilité, et un public qui nous déteste.

Quoi qu'il en soit, je veux bien tenter l'expérience, parce que j'ai envie de mener des projets (et je ne suis jamais à cours d'imagination), et de découvrir une autre facette de mon métier.
J'ai bien sûr toujours ma classe de CM2 sur trois-quarts de mon temps de travail. Le quatrième étant réservé à l'administratif. Pendant ce temps, mes élèves ont une autre enseignante, qu'on appelle joliment une
décharge.

Comme je vous sais prompts à rire de mes malheurs, j'ai bien envie de vous raconter ma première rentrée de directrice. J'en garde moi-même un souvenir ému.

C'est un matin frais de septembre. La veille, ça commence bien, je règle mon réveil sur huit heures au lieu de sept. Acte manqué, égarement d’enseignant dont les nombreuses vacances perturbent l’horloge interne ! Allez savoir !
Heureusement, Flore, qui a faim, se met à fanfaronner à sept heure trente.
Face à l'urgence et au peu de temps qu'il me reste, Julien, adorable, m’encourage à ne me consacrer qu'à moi-même.
- T'inquiète, occupe-toi de toi, je m'occupe de Flore.
Soulagement : je suis tranquille de ce côté là.
Enfin, si on peut dire !
– Maman, où est mon pantalon ? Qu’est ce que je mets comme chaussures ?
- …
- Maman, où sont les cornflakes ?
- …
- MAMANNNNNNN ! Tu réponds ou quoi ?
- Blubb gloub blubb !
– Arrête de blaguer, maman !
Non, je ne blague pas, je suis sous la douche, en train de me laver les dents !
Après coiffage-tartine, fond-de-teint-yaourt, et enfilage-de-jean-mascara, j'attrape mon sac d'une tonne et sors.
Une pluie fine crachote son venin sur mon brushing tout frais.
Un peu de répit, je monte à pieds à l'école, tranquillement, cela me laisse quelques minutes pour rassembler mes molécules éparpillées.
L'air vif apaise le feu de mes joues cramoisie par le stress.
Huit heures dix, l'école est silencieuse. Le calme avant la tempête. Le rush est proche. Pour ce premier jour de l’année, nous accueillons les parents dans la cour avec leur enfant. Je m’assois à mon bureau, ferme les yeux. Si la pluie s’intensifie, on devra faire l’accueil sous le préau qui est petit et pas insonorisé.
Mais la chance est avec moi : les gouttes restent éparses. On passera entre…
Huit heures vingt, ouverture du portail, des grappes de parents se déversent, avec leur enfant qui sent bon le cartable neuf. Je regarde cette foule impressionnante : J’ai devant moi le monstre tentaculaire parent d’élève. Tout un monde.
Des parents sympathiques m’abordent avec des mots d’encouragements :
- Et voilà encore une année qui commence, mon fils/ma fille est ravie de vous retrouver. Je vous souhaite bon courage.
Une mère, qui l’est moins (sympathique) , m’interpelle :
– Et j’espère qu’enfin cette année, ça va aller…
Oui, oui, on l’espère tous…
Je repère un petit garçon de CP tremblotant, la bouche carrée. Ses parents, passant près de moi, me soufflent :
– On vous le laisse, il faut qu’on soit là-haut, en maternelle, pour la rentrée de notre petite dernière !

Et disparaissent sans laisser de traces, sauf un petit bonhomme qui se débat, hurle, pleure, incontrôlable. Certains rient sous cape, guettant la façon dont je vais me sortir de la situation…
Tandis que je tiens fermement l’asticot par le bras tout en tentant de l'apaiser, (d'une part je compatis à sa détresse, d'autre part, s’il se sauve, je suis cent pour cent responsable), un autre élève vient me dire que ses parents aimeraient parler à l’enseignante de CE1.
L’enseignante de CE1 !
Où est l’enseignante de CE1 ?
Huit heures vingt-neuf, on sonne dans une minute, et l’enseignante de CE1 n’est pas arrivée !
Je refile l’asticot à l’adjointe au maire qui passait à proximité, galope vers mon bureau pour écouter le répondeur : Pas de message de la maîtresse de CE1 !
Par la baie vitrée, j’aperçois le CP qui se roule par terre. Je ressors en courant, me tords la cheville sur le pas de porte, me rattrape au mur pour ne pas tomber et m’érafle la main sur le crépis ! Personne ne m’a vue : j’ai un mal de chien, mais l'honneur est sauf !
La maîtresse de CE1 déboule en nage : son fils a loupé son car, elle a dû l’emmener au collège !
Un souci en moins. Sauf que dans le même temps, la nouvelle maîtresse de CM1 sort dans la cour, rate la marche et se vautre comme un flan devant tous les parents d’élèves éberlués…
Dans un silence absolu, tous les yeux rivés sur nous, je la relève : Vu sa grimace, la procédure serait d’appeler les pompiers…
Huit heures trente-deux, je sors la poche de glace, l’arnica, l’hémoclar…, tandis que le petit CP continue à hurler qu’il ne veut pas rester dans cette école, que la pluie devient plus dense, que le maire surgit, me demandant – toute affaire cessante – de lui présenter la nouvelle enseignante de l’école, celle justement qui vient de s’étaler et tente de reprendre ses esprits, assise dans la salle des maîtres, une poche de glace sur son gros pet au genou et une autre sur son poignet droit tuméfié.
Huit heures trente-cinq, j'appuie sur la sonnerie qui résonne dans l'école et la cour comme la fin de mon calvaire.
Ma collègue me rassure : Elle devrait pouvoir assurer sa classe. Elle ira chez le médecin à l’heure du repas. Le maire lui souhaite la bienvenue.
Les enfants se rangent. L’asticot se résigne.
La cloche d’une école élémentaire a des vertus insoupçonnées sur les enfants.
Je pousse diplomatiquement les parents dehors, attends les derniers qui s’attardent à bisouiller leur progéniture, et file retrouver mes CM2. Heureuse de me poser, les aller-retour bureau-cour-classe-salle des maîtres-infirmerie-portail m’ayant laissée pantelante.
Moi, directrice d’école nouvellement nommée, cheville explosée, main en sang, joues en feu, brushing raplati, je viens de bouffer, entre huit heures vingt et huit heures trente-cinq, tout mon capital-grandes-vacances.

Au final, je me tâte : Quand j'aurai fini de vous raconter mes aventures de maman adoptante, je m'essaierais bien au journal d'une directrice (presque) comme les autres.
Parce que, là aussi, j'ai tout un paquet de choses intéressantes à vous dire.



6 commentaires:

  1. C'est très drôle merci pour ton récit :)

    RépondreSupprimer
  2. Ah ben oui, moi j'attends ça avec impatience !!!

    Merci pour ce moment de détente :-)

    RépondreSupprimer
  3. Ce joli texte en annonce d'autres à venir ? On attend les prochaines nouvelles, alors !
    Moi, j'ai tout mon temps (quoique... ;-)): je suis une "ancienne"directrice", à la retraite depuis deux ans...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Margot, ce texte n'est - pour l'instant - qu'un épisode du journal d'une maman (presque) comme les autres. Mais, comme je le disais, après en avoir terminé avec mes aventures de maman (quoi que cela ne se termine jamais ;-)), je me lancerai sûrement dans le journal d'une directrice, car j'ai tellement de choses à en dire !
      Aujourd'hui, je ne le suis plus non plus, par choix, j'ai préféré arrêter et me consacrer à mes filles. Je tente une reconversion professionnelle. Ce qui me permet, au passage, d'avoir beaucoup de recul par rapport à mon métier d'enseignante !
      Merci de votre lecture et à très bientôt.

      Supprimer

un p'tit commentaire ?