28 oct. 2014

Fin de la première partie

Chères lectrices et chers lecteurs,

Vous êtes nombreux et assidus à suivre le journal d'une maman (presque) comme les autres. Je vous en remercie sincèrement. Cela me touche d'autant que j'ai à coeur de faire savoir quelle belle aventure est l'adoption ! Comme elle peut être à la fois singulière mais aussi semblable à toutes les autres histoires de parents !

La première partie de mon journal est terminée. En effet, avant d'écrire la suite, qui va être assez complexe car elle va principalement évoquer la période post-séisme, l'attente de notre deuxième fille et les déboires administratifs et juridiques kafkaïens que nous avons vécus (mais ça ne sera pas toujours triste, rassurez-vous !), je voudrais faire une pause.

Pour reprendre mon souffle avant de replonger dans ces souvenirs ! ;-)

Une pause aussi, parce que j'ai envie d'élargir le champ de mes lecteurs, pour partager mon histoire avec le plus grand nombre.
Bref, la faire éditer.

Je vais donc me lancer dans la recherche d'une maison d'édition. (Même pas peur !)

Si vous souhaitez m'y aider, c'est possible (et vivement conseillé, héhé!), en laissant des commentaires sur mon blog (sous les épisodes), en me faisant connaître, en partageant mes posts sur facebook ou twitter, en encourageant vos amis à lire mon journal ...

Je vous en remercie beaucoup !

Je retourne fouiller mes notes qui, comme vous l'imaginez, vous qui me connaissez bien maintenant, sont très très bien classées, et en attendant, je vous embrasse, tiens, pour la peine ! ;-)

A très très bientôt !

14 oct. 2014

Le 12 janvier 2010


Je me lève. Nous sommes mercredi.
Julien et Flore dorment encore.

Comme tous les matins, je mets les infos sur France Inter.
Je suis mal réveillée, pourtant, quelque chose dans le ton du journaliste m'interpelle.
Sa voix, dramatique, répète la même chose, en boucle, qui résonne dans ma tête comme dans une église vide.
Tout se met à tourner dans et autour de moi :
Un séisme de magnitude 7,3 a ravagé Port au Prince et ses environs.

Tellement abasourdie, j'ai du mal à mettre une réalité sur les mots qui me parviennent, tronqués. Je n'en retiens que des bribes, des mots violents qui font mal :
Milliers de morts... Personnes ensevelies... Bâtiments détruits... Désastre sans précédent...

Je me mets à hurler comme une folle.
Julien et Flore arrivent en courant dans la cuisine, où je suis assise, hagarde, fixant le poste de radio.
Julien s'effondre, Flore ne comprend pas. Je n'arrive pas à parler. Julien parvient à lui dire qu'il y a eu un tremblement de terre en Haïti. Elle me regarde sans rien dire, ne réagit pas. C'est Flore : râleuse et bavarde, mais qui intériorise toujours les choses graves.

Le téléphone se met à sonner, sonner, sonner ! On nous appelle de partout, famille, amis, voisins...
- Vous avez entendu les infos ?
- Avez-vous des nouvelles de l'orphelinat ?
- Savez-vous si Alexandra...
Alexandra... Alexandra...
Ma petite mère aux yeux malicieux, pleine de joie de vivre !

J'ai la sensation d'étouffer. La douleur est insupportable. La radio diffuse des informations en boucle, le séisme, les répliques, les morts, le séisme, les répliques, les morts...


Comment une chose pareille est-elle possible ?

Haïti, pauvre Haïti, belle, fière, forte et brisée !

Tous les enfants...
... et la nôtre...

Ma sœur pleure au téléphone :
- Trouve un moyen de savoir !

Sans y croire, j'allume mon ordinateur et me connecte sur le site de l'orphelinat.
Ils ont réussi à joindre leur contact aux Etats-Unis. Un énorme message en rouge et gras remplit la page d'accueil : L'orphelinat a tremblé, tout est tombé, tout s'est cassé, les murs tressaillent encore...
Mais les enfants et le personnel sont en vie. Tous réunis dans la cour, non loin des bananeraies, là où cela risque le moins.
Enfin, ils espèrent.

Notre fille est en vie... En situation précaire, mais en vie.
Tous les enfants d'Haïti n'ont pas eu cette chance.
Et mon soulagement intense ne m'apporte aucune joie.

.
Des pensées en cascade me submergent. Il faut se mobiliser. Pour les haïtiens. Pour leur apporter notre aide. Pour l'orphelinat : Qu'en est-il des réserves d'eau ? De la nourriture ? Comment préserver les enfants des répliques, des maladies...

Et tandis que je prends de plus en plus conscience du chaos mortel qui touche un pays entier, je mesure la place infime que revêt notre procédure d'adoption, mais ne peux me défaire de cette belle phrase lue un jour quelque part : Sauvez un enfant, et vous avez sauvé l'humanité !

Je n'ose me l'avouer, mais oui, je veux sauver ma fille.
Passés les moments où nous allons parer au plus urgent, commencera un dur combat pour faire rapatrier Alexandra.
.
Nous n'y parviendrons pas de sitôt.

Mais on va tout faire pour.


13 oct. 2014

Le voyage de Julien (fin)

Dans l'avion qui le ramène à Paris, Julien a les larmes aux yeux. Sa tête est remplie de cette petite bonne femme fragile et forte à la fois. Du haut de ses deux ans, elle a fait preuve d'une maturité exceptionnelle. Il rapporte avec lui le souvenir d'une enfant déterminée, attachante, pleine de vie et d'une gaieté hors du commun quand on connaît son histoire et ses conditions de vie.

A Paris, il fait froid. C'est bientôt Noël. Passer de 40° à -5°, ça fait un choc.

A la maison, je lui demande de raconter. Mais il est dans ses souvenirs et je me sens exclue. Je ne lui en veux pas, ça n'aurait pas de sens. Simplement, il a vécu quelque chose de tellement intense que je me sens dépossédée de ma part de maternité. Je regarde les photos, mais elles me semblent vides de sens. J'ai encore plus de mal à regarder les films : Voir Alexandra bouger, parler à son papa, rire aux éclats me rend à la fois heureuse et morose.
Je m'en veux d'être ainsi, mais je suis restée dans un présent qui n'est pas le leur. Pour Flore et moi, la vie a continué, alors que Julien et Alexandra ont vécu une merveilleuse parenthèse dans leur quotidien.

Mais Julien ne va pas très bien, et il traîne sa nostalgie et son regard se perd souvent dans le vague. Il me fait comprendre qu'il est quasiment inconcevable de vivre cette séparation. D'imaginer tout ce qu'Alexandra a eu dans la tête après qu'il est parti : Plus d'espoir, le matin, au réveil, plus de circuits, plus de câlins, plus de fous-rires, de jeux partagés. Plus d'amour.

Et dire que c'est pour l'intérêt supérieur de l'enfant !

Cela nous mine, Julien et moi, chacun pour des raisons différentes. Nous n'en parlons pas. D'ailleurs nous ne parlons plus beaucoup. Non pas que quelque-chose se soit cassé. Non. Mais à un moment donné, nos chemins se sont écartés, et nous avons du mal à nous retrouver.

Heureusement, Noël arrive, et l'enthousiasme de Flore nous permet de nous recentrer sur le moment présent. Ce n'est pas qu'on oublie ; c'est que le quotidien, ponctué des fêtes traditionnelles, des moments familiaux, enfoui dans la routine, a cette puissance salvatrice qui aide à reléguer au second plan les choses qui font souffrir.

Nous passons la fin de l'année heureux, malgré les petites arrières-pensées masquées, mais tout cela tend à se dissiper, le temps faisant bien son affaire.
Et quand vient janvier, nous disons adieu à l'année 2009 avec ses cahots et ses petites souffrances, et accueillons l'année 2010 avec espoir : Celui d'aller chercher très bientôt notre petite fille.



10 oct. 2014

Le voyage de Julien (suite)


Tous les soirs, par mail ou messagerie, Julien me raconte son quotidien avec Alexandra. Il n'en perd pas une miette. Il profite.
Moi, depuis la France, je m'en veux et me morfonds de ne pas être avec eux, mais tente de n'en rien montrer à Flore qui n'a pas à payer mes états d'âme.
Je vis la rencontre par procuration. C'est douloureux, mais c'était inévitable.

La signature du document se déroule dans le bureau d'un juge de la banlieue de Port-au-Prince. Il est 10 heures du matin. En chemin, la responsable des dossiers à l'orphelinat s'arrête devant une drôle de cahute, et s'achète un plat local, ressemblant à des tripes, qu'elle mange en se justifiant : elle n'a pas eu le temps de prendre de petit déjeuner.
Un peu écoeurés, Julien et les autres adoptants se concentrent sur la route. Ils arrivent enfin devant une maison basse. Un long couloir les mène à une pièce de 20m2, avec pour tout meuble un bureau. Des cartons et des papiers en vrac jonchent le sol, jusqu'au plafond. La responsable de l'orphelinat explique au juge présent que Julien est seul, mais qu'il a une procuration de son épouse. Julien retient sa respiration : normalement, nous devrions être tous les deux à signer ce papier. Nous avons pris un risque. Réfléchi, mais un risque tout de même. Le juge prend la procuration, et fait signe à Julien que tout va bien. Tandis qu'il signe, la responsable prend une photo. Au cas où le document se perde, on a une preuve.
L'autre famille signe aussi.


En un quart d'heure, c'est réglé. Vingt-quatre heures d'avion, mille deux cents euros de billet, dix jours de torture à préparer la séparation d'avec ton enfant pour un quart d'heure de procédure !
Nous avons pourtant donné procuration à un avocat haïtien, dont c'est le rôle. Mais ce n'est pas ce que veulent les administrations. 
 
Nous nous sentons à la merci de chacun des caprices d'un nouveau gestionnaire.
Une joyeuse plaisanterie.

A l'orphelinat, Alexandra l'attend. Pour faire quelques petits circuits. Elle est moins inquiète, s'habitue au rythme. Elle sait qu'après chaque sieste, et chaque nuit, Julien revient.

Lui, souffre un peu de la chaleur. En fait, un problème avec la réserve d'eau leur interdit de prendre plus d'une douche par semaine. 

Une nuit qu'il a trop chaud et ne peut pas dormir, il sort et marche pour se détendre avec la fraîcheur de la nuit dans la cour protégée par de hauts murs. Le groupe électrogène fonctionne à fond, faisant un boucan infernal. Il s'aperçoit alors que le gigantesque appareil est situé juste sous les fenêtres du dortoir. Là où dort Alexandra. Aucun bruit ne parvient de là-haut : les enfants dorment, insensibles à bruit, à la différence de température entre le jour et la nuit, aux rats qui courent partout.

Le lendemain matin, ils sont réveillés à cinq heures par des hurlements qui percent les premières lueurs du jour. Tout l'orphelinat, du personnel aux enfants, s'éveille en panique, se demandant d'où provient ce tumulte. Dans la maison d'à côté, on saigne un cochon. Le pauvre s'égosille pendant dix longues minutes, puis le calme revient. Certains enfants se rendorment. D'autres commencent leur longue journée de vie en communauté. Julien se lève. Il a hâte d'être avec Alexandra.

Quand Julien arrive dans le dortoir, les nounous haïtiennes se sont mis en tête de faire une nouvelle coiffure à Alexandra pour qu'il puisse nous rapporter de belles photos de notre fille. La petite est couchée à plat ventre sur les genoux de l'une d'elles, bras et jambes ballants de part et d'autre. La nounou empoigne sa tignasse sans ménagement. Puis se met à faire des raies avec ses ongles, droites comme des autoroutes ! Un savoir-faire impressionnant. Puis elle tresse, tresse, tresse, en tirant énergiquement sur les petits frisottis. Nous, à la place des enfants, on pleurerait de douleur toutes les larmes de notre corps. Mais Alexandra, elle, se laisse faire nonchalamment puis s'endort sur les genoux malgré son cuir chevelu distendu à la tractopelle.
Une heure après, elle a sur la tête des dizaines de petites nattes retenues par des élastiques colorés.

C'est bientôt Noël, et Julien a du mal à ressentir l'ébullition qui précède toujours les fêtes. Il y a pourtant un sapin décoré à l'orphelinat, mais un sapin avec de la fausse neige dans un pays où il fait 40°, ça ne fait pas raccord.
Un après-midi, les bénévoles décident de faire des sablés de Noël. Julien et Alexandra sont embauchés. Elle montre un réel plaisir à malaxer la pâte et à décorer les gâteaux avec du beurre sucré coloré. 
Au passage, Pas besoin de faire fondre le beurre au micro-onde, il suffit juste de le sortir deux secondes du frigo !

Alexandra rit tout le temps, heureuse de découvrir tout ce qu'il est possible de faire en dehors de son dortoir et de la terrasse. Elle trempe ses petits doigts dans le beurre sucré, dans la pâte, et goûte à tout, en demandant à Julien :
- Aya ?
Ce qui veut sûrement dire : « Tu ne goûtes pas, toi ? »

D'ailleurs, Julien constate qu'Alexandra mange et boit tout le temps. Ce qui est révélateur d'un besoin de compensation. De même que sa joie de vivre et son constant besoin de plaire.
Elle a développé des stratégies pour survivre, en attirant l'attention.
Et en se faisant aimer.

La veille de reprendre l'avion pour Paris, Julien attache au poignet d'Alexandra un petit bracelet que j'ai choisi pour elle et lui explique :
- Ce bracelet, c'est le lien entre toi et nous. J'ai le même, ta sœur a le même, ta maman aussi. Je vais repartir, mais nous viendrons bientôt te chercher pour réunir nos quatre petits bracelets. Je te promets. Nous viendrons bientôt te chercher.


Elle le regarde gravement et fait tourner son bracelet sur son poignet. Julien voit à ses yeux qu'elle comprend. Elle se blottit contre lui, en regardant la photo sur laquelle une dame et une petite fille ont le même bracelet qu'elle.

Le jour du départ, les adoptants qui étaient en même temps que Julien vivent un moment difficile. Alors qu'ils disent au revoir à leur fils, celui-ci comprend que ses parents vont partir, se met à hurler et court se cacher sous son lit en pleurant. Les parents sont dévastés. Ils essaient de le prendre, mais il n'y a rien à faire. Il y a tant de souffrance chez cet garçon qui sait ce qu'est l'abandon : il ne veut pas leur dire « au revoir ». Dans sa petite tête d'enfant de deux ans, « au revoir » ça peut tout aussi bien signifier « adieu » !

Julien est tranquille. Alexandra très calme. Il lui parle sans cesse. Lui promet qu'il reviendra. Lui montre leurs bracelets. La nounou d'Alexandra lui traduit en créole. Alexandra est grave, mais souriante. Julien l'embrasse une dernière fois, puis descend dans la cour pour monter dans la voiture qui l'emportera vers l'aéroport.

Il lève les yeux vers la terrasse du premier étage.
Alexandra est là, derrière les barreaux. Elle a été chercher la première carte que Julien lui a donnée, et de sa petite main qui tient fermement la carte, lui fait coucou.
Julien sait qu'elle sait qu'il reviendra.
Elle le regarde avec ses yeux si vifs.
Et elle lui sourit.


9 oct. 2014

Le voyage de Julien (1)


Je regarde l'avion décoller avec une pointe au cœur. Flore me serre la main.
- Pourquoi on ne peut pas partir avec papa ?
Oui, pourquoi ?
Parce tu as école, parce que nous n'avons pas assez d'argent, parce je travaille et que jamais l'éducation nationale ne m'accordera de congé, parce qu'il est peut-être un peu tôt pour que tu retournes dans ton pays d'origine...
Et puis parce que j'ai été lâche : Je ne me sens pas le courage d'aller rencontrer Alexandra, de vivre avec elle une semaine, et de rentrer seule en la laissant là-bas.

Nous en avons parlé longuement avec Julien, et tout fait pour qu'il se mette en condition – même si je crois que rien ne peut nous préparer à faire vivre à notre enfant un nouvel abandon, même temporaire.

Comment se fait-il que personne n'y ait pensé ? On nous bassine avec l'intérêt supérieur de l'enfant, et rien n'est fait dans ce sens. Pire, on ajoute aux procédures des étapes qui lui nuisent.
J'ai bien conscience que nous ne sommes que des souris gouvernées par des chats dont les intérêts particuliers sont plutôt contraires à l’intérêt général, mais je me prends en pleine poire le fait de le vivre de façon si intime et percutante.
Et de le faire vivre à mon enfant.
Et nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Julien part donc avec deux valises et une malle. Pas de billet adoptant cette fois-ci, puisqu'il ne reviendra pas avec Alexandra. Voyons le bon côté des choses : ça m'évite de me taper à nouveau la honte à Air France.

Julien s'est mis en condition pour son arrivée à Port-au-Prince. Le dernier voyage, quatre ans auparavant, lui ayant laissé un impérissable souvenir.
Mais cette fois-ci, il ne voyage pas seul - un autre couple d'adoptants est avec lui – et un chauffeur de l'orphelinat vient les chercher à Toussaint Louverture. Ca le dispense d'imaginer une nouvelle course poursuite sur le parvis de l'aéroport avec les Spirous.
D'ailleurs, Julien trouve que l'aéroport a changé : Plus clair, plus organisé, plus sécurisé... ou alors c'est qu'il s'est habitué au souvenir désastreux de notre premier voyage et que, de toutes façons, comme on pouvait difficilement faire pire, c'est forcément mieux.

Port-au-Prince est jonchée de briques et de parpaings, comme si un changement, une reconstruction se préparait.
Il y a toujours autant de gens dans les rues, et plus de voitures que dans son souvenir. Les tap-tap bondés sillonnent les rues, des passagers ras la gueule !

Tandis qu'il file vers l'orphelinat, Julien sait qu'il ne pourra pas voir Alexandra ce soir, car elle sera couchée. Mais il la rencontrera demain.
L'aimer sans trop s'attacher : Julien se demande comment cela va être possible.
Mais de toute façon, a-t-il vraiment le choix ?

Et d'ailleurs, au petit matin, quand il entre dans la même pièce que celle où nous avons rencontré Flore, seul face à notre deuxième fille, Julien tombe instantanément en amour devant ce petit bout de bonne femme de deux ans, toute jolie, souriante, vive, au regard qui pétille.
Contrairement à Flore, Alexandra n'a pas peur de Julien. Il s'assoit près d'elle et lui parle. Sans s'encombrer de détails, elle monte sur ses genoux et se colle à lui. Puis, elle lui montre l'escalier. Elle veut l'emmener se promener.
- Aya ! Aya ! Lui dit-elle.

Aya, c'est un mot passe-partout qu'utilisent souvent les enfants de la crèche. A l'origine, ça veut dire Alléluia. N'oublions pas que nous sommes dans une crèche d'obédience évangéliste. Les bénévoles qui viennent travailler là sont toutes issues de la même église. D'ailleurs, nous l'avions vécu lors de notre premier voyage, Julien et moi, au moment de se mettre en cercle de prière avec la directrice, sa famille et les bénévoles. Avec un air pénétré, nous étions passés maître ès playback en susurrant nos "ouinch ouinch" à qui nous tentions de donner une sonorité pieuse.


Dans le dortoir, la plupart des bénévoles entraînent les enfants à dire "Alléluia!", et quand un enfant y parvient, il est remarqué et applaudi.
Alors quoi de mieux pour attirer un peu d'attention à soi que de crier Aya ! Aya !
Quel sens ce mot curieux peut-il avoir pour un enfant de deux ans ? Pour Alexandra, cela semble vouloir dire : "Viens-là", ou "je suis là", ou "suis-moi"...

Alors, Julien suit Alexandra. Et d'ailleurs, il va passer son séjour à faire un circuit précis : La terrasse de jeux, la cuisine (pour chiper un bout de pain et remplir la gourde d'eau), le tour de l'orphelinat par la cour, et retour à la terrasse.
Alexandra est très déterminée. Elle sait ce qu'elle veut. Et si jamais Julien n'est pas d'accord ou se trompe dans l'ordre du circuit, ne remplit pas suffisamment sa gourde ou coupe un trop petit morceau de pain, elle se couche au sol, l'air triste, et ne bouge pas pendant une minute. Puis elle se relève, à nouveau joyeuse, et repart pour une nouvelle tournée.

Cette petite fille ne serait-elle pas un petit peu comédienne ?

Quoi qu'il en soit, ce que m'en dit Julien le soir, par messagerie, c'est que c'est une vraie joie de vivre.
On ne va pas s'ennuyer, entre Flore et elle !

Mais ces moments de joie sont ponctués de petites séparations qui font souffrir Alexandra : chaque midi, Julien doit la remettre dans le dortoir, pour le repas de midi et la sieste. Et le soir, à 17 heures, pour le repas du soir et la nuit. Chaque fois, c'est le même drame. Elle hurle et pleure ce monsieur qu'elle aime et qu'on lui retire deux fois par jour.

Une vraie complicité est née : Julien lui parle, lui montre l'album photo de notre famille : Flore, moi, le chat, la maison... et lui explique que c'est sa famille pour toujours, et qu'on l'attend.
Au bout de quelques jours, elle demande d'elle-même à voir l'album :
- Aya, dit-elle avec un grand sourire en pointant son doigt sur la poche de Julien. Et ils regardent ensemble ce que sera bientôt sa vie.

Tout au fond de lui, Julien ne peut s'empêcher de penser qu'à l'issue des dix jours de complicité, il faudra tout briser pour une séparation bien plus longue qu'une sieste ou même qu'une nuit.


6 oct. 2014

Mes expériences culinaires

Etre mère – adoptive ou non - signifie être capable de faire preuve tout à la fois d'intelligence, d'à propos, de débrouillardise, d'innovation, d'imagination, d'abnégation, d'anticipation, de créativité, et j'en passe.

J'ai toujours aimé cuisiner, mais jusqu'à présent, j'étais mon seul cobaye, et mes expériences ne nuisaient à personne qu'à moi-même.

Pour la petite histoire, il faut que je vous dise qu'avant de décider d'avoir un enfant, Julien et moi vivions chacun chez soi. Ce qui nous autorisait une vie tranquille, sans contrainte ni obligation, chacun vivant comme il l'entend : nourriture, choix du programme de télévision, heure de coucher et de lever, choix de la radio, sortie copines sans rendre de comptes etc etc etc.


Ce qui fait que notre façon diamétralement opposée de nous nourrir n'a jamais gêné personne : en effet, Julien mange de la viande et de la charcuterie à tous les repas - voire plus - agrémentées de pommes de terre. 

Frites ou sautées, de préférence.

Il cuisine divinement bien, du petit salé aux lentilles à la blanquette de veau en passant par le cassoulet ou les tomates farcies.
Je ne crache pas sur ces petits plats, mais j'essaie de manger peu de viande et plus de légumes.
Alors bien sûr, occasionnellement, un pot au feu ou une entrecôte béarnaise, c'est bon, mais pas tous les jours.


Ma cuisine à moi, elle est beaucoup moins fun, je l'avoue. Le dimanche midi où j'ai proposé à Julien et à Flore une soupe de fanes de radis, une salade de betteraves aux pousses d'alfalfa et du riz basquaise, c'était bon, certes, pleins de vitamines et de fibres, c'est sûr, mais beaucoup moins dominical que le traditionnel poulet-frites de Julien. 

 
J'ai bien enregistré la déception de Flore (je ne parle même pas de celle de Julien), et je me suis dit que franchement, moi qui avais des velléités vegan, il allait falloir faire preuve d'inventivité pour y rallier la famille.

C'est pourquoi j'ai décidé de me lancer dans des innovations culinaires originales.
Histoire de donner du peps à mes fanes, mes navets et autres salsifis.

Pour commencer, j'achète un livre de cuisine végétarienne, dans lequel je trouve tout simplement des idées pour cuisiner les légumes, en tians, pains, quiches, tartes, brick... et ça plaît à Flore.
Un essai transformé pour l'équipe veg !

Cela dit, pour être tout à fait honnête, j'ai quelques fois des ratés, quand j'essaie d'employer à ma façon – c'est à dire sans suivre la recette – les ingrédients inhabituels. 


Par exemple, l'agar-agar. C'est un liant et gélifiant végétal qui permet de remplacer la gélatine animale.
Normalement, 
l’agar-agar doit être porté à ébullition dans un liquide, et se gélifie en refroidissant. Mais comme d'habitude, je ne prends pas le temps de lire la notice du sachet d'Agar-agar, j'en mets pour lier une sauce, comme j'aurais fait avec de la fécule de maïs.
Sauf que ce n'est pas de la fécule de maïs. Et malgré l'énergie que je mets à fouetter l'ensemble, l'agar-agar s'agglutine, coagule, et donne à la sauce un air de vomi de chameau.


Flore, qui est une gourmande, mais aussi – on ne peut pas être pénible dans tous les domaines – mange facilement de tout, se penche avec prudence sur le plat : Tagliatelles sauce agglomérat.


Tête brûlée de nature, elle se lance courageusement et goûte ; écrase étonnée un amas de sauce entre ses dents, qui restent collées ensemble quelques secondes ; tente de déglutir avec difficulté, et, une petite larme au coin des yeux, me supplie :
- Maman, je crois que c'est pas très bon.
Je lui concède.
Et sors une tranche de jambon.
Essai marqué par l'équipe carnivore.

Mais malgré ces échecs que je considère formateurs, je n'ai pas dit mon dernier mot, et, face aux millions d'animaux élevés en batterie et tués dans des abattoirs, lieux de tortures et de souffrance, je me radicalise, et achète un livre de recettes vegan.

Le vegan, c'est encore plus restrictif que végétarien. Pour moi, végétarien signifie ne plus manger de viande.

Mais vegan, ce n'est non seulement plus de viande, mais plus d'oeufs, plus de poisson, plus de laitages, plus de beurre, et plus de... fromages.
Là, j'avoue. Ca m'en fiche un coup. Mais je tiens bon, et, avant de tester sur Flore et Julien qui en ont assez de jouer les cobayes (Julien a été très affecté par la dégustation de chorizo végétal), je fais des essais.

Première recette, un gâteau. A base de noix, carottes, amandes, farine non raffinée, sucre muscovado (un truc un peu lourd et collant), huile, bicarbonate de soude...
La recette me semble... comment dire... assez consistante :
Pas d'oeufs, pas de beurre ou de crème fraîche pour alléger un peu. Et je n'ose plus employer d'agar-agar. 


Mais il faut être prêt à changer ses habitudes, c'est comme ça qu'on apprend.


Je fais donc le gâteau, je touille avec une pelle en bois et beaucoup d'énergie, aussi - parce que, fichtre, qu'est ce que la pâte est dense -, et je le cuis presque deux heures dans un moule à cake rectangulaire.


C'est assez long à cuire (faut dire qu'il y a de la matière), ça sent plutôt bon, et je finis par sortir un chouette gâteau qui a une fière allure gonflée (le bicarbonate, sûrement). Mais tandis que je m'apprête à le démouler, le voilà qui s'écroule en son centre, creusant un profond sillon dans toute sa longueur.
Ca me rappelle vaguement quelque chose, mais je ne sais pas (encore) quoi.
Flore arrive, attirée par l'odeur, et regarde la chose :
- Et... tu crois qu'on peut manger du gâteau-raie-des-fesses, maman ?

J'ai remisé mon livre de recettes vegan derrière le « viandes et volailles » de Julien. 


Je ne suis pas encore prête, psychologiquement, à cuisiner des boulettes de vomi de chameau ou des gâteaux-raie-des-fesses.

Mais c'est parce que je manque d'entraînement.
Promis, dès que j'ai essuyé de mon front la honte de mes échecs cuisants, je m'y remets !


En secret.



26 sept. 2014

Portrait chinois

Il aurait fallu que je le mette un peu plus tôt dans mon récit, mais mieux vaut tard que jamais.
Voilà une petite présentation de la maman (presque) comme les autres que je suis. Soyez indulgents, se présenter soi-même est un travail difficile, qui nous fait osciller entre désir d'authenticité et orgueil.
 
Le portrait chinois, c'est un exercice que je fais faire à mes élèves depuis des années. Il est drôle, et permet de se dévoiler avec finesse et imagination.
Essayez, vous verrez, c'est drôlement sympa.

Si j'étais un prénom, je serais Marie. Oui, je sais, ce n'est pas original. Marie, ça veut dire "celle qui élève", en hébreu. Et ça, ça me va.

Si j'étais un animal, je serais un chat. J'aime les chats. Que dis-je : j'adore les chats. J'en ai depuis que je suis petite et je n'envisage pas la vie sans. Cela dit, j'ai une forte propension à aimer tous les animaux, et même si elles me font peur, je refuse qu'on écrase les araignées qui ont tout autant que mon chat le droit de vivre.
Mais loin de ma chambre.

Si j'étais un film, je serais Dersou Ouzala, de Kurosawa. Car il faut bien choisir, et c'est celui-ci qui me vient systématiquement en tête, car il a marqué ma culture cinématographique d'adolescente 100% intello que je croyais être, et ne m'a jamais quittée depuis.
Cela dit, je ris comme une baleine (?) à chaque fois que je regarde La Grande Vadrouille, je suis fascinée par 2001, l'Odyssée de l'espace et grande fan de la saga Alien.
.
Si j'étais un livre, je serais Cent ans de solitude de Garcia Marquez... Mais, je pourrais tout aussi bien être Le meurtre de Roger Ackroyd d'Agatha Christie ou Tintin, le secret de la licorne. 
.
Si j'étais une série télé, je serais Amicalement Vôtre. Oui, je sais, c'est un peu has-been... En même temps, c'est vraiment bien.

Si j'étais une chanteuse, je serais Tracy Chapman (ou Véronique Sanson) ;

Si j'étais un chanteur, je serais Bob Dylan (ou Jacques Brel) ;

Si j'étais un musicien, je serais Mozart (ou... Mozart) ;

Si j'étais un métier, je serais maîtresse d'école. De CM2, plus précisément, ma classe fétiche, dans laquelle j'enseigne depuis plus de dix ans.

Si j'étais une couleur politique (ça existe, ça?), je serais verte ;
Mais alors bien bien verte.

Si j'étais un fromage, je serais un camembert coulant (étalé en couche épaisse sur une baguette croustillante) ;

Si j'étais un légume, je serais une salade de tomates avec beaucoup de sauce ;

Si j'étais un vin, je serais un Aloxe Corton 1961 ;

Si j'étais un défaut, je serais étourdie, un peu donneuse de leçon aussi, têtue, bordélique ( ça fait quatre)(Y'en a d'autres)(mais je ne dis pas tout, vous verrez bien au fur et à mesure).

Si j'étais une qualité : La gentillesse ? (c'est difficile de s'attribuer des qualités comme ça, ça fait un peu pédant).

Voilà un exercice bien amusant. Mais réducteur, aussi. Les goûts et les couleurs, finalement, ça peut changer selon les jours, selon la météo, selon l'humeur... Et si vous me reposiez les mêmes questions demain, la moitié des réponses serait différente.
Il y a des choses immuables (le chat et le camembert, par exemple), et d'autres moins.
Tout choix est un renoncement, allez !
De toutes façons, le reste, vous le découvrez au fil des pages mon journal.

Ça vous permettra de vous faire votre propre idée. C'est bien comme ça que les rapports humains fonctionnent.
Non ?

15 sept. 2014

Le brame du cerf

Je mets un point d'honneur à partager mon amour de la nature avec ma fille.

Ca commence par les balades en forêt avec jumelles, livres de traces et indices, loupes et carnet d'aventure.
L'air de rien, Flore s'intéresse. Avec son tempérament fougueux, je pensais que la contemplation et l'observation allaient vite l'irriter. Et bien non. Je suis même agréablement surprise, car elle est particulièrement attentive à la vie de la nature.

Son enthousiasme est tellement réel qu'elle ne peut manquer de le manifester avec entrain :
- REGARDE MAMAN LE GROS CHAMPIGNON ! IL EST BEAU, HEIN ?
Et là, même les bolets n'ont qu'une envie : se carapater loin de la source sonore avec les doigts dans les oreilles.
Alors les écureuils, chevreuils, piverts et campagnols ne font pas long feu dans notre périmètre...

Mais il nous reste tout pleins de traces au sol, de poils sur les arbres, de têtards dans les mares et de crottes à décortiquer (chouette !).

Me vient un soir la bonne idée d'emmener ma fille écouter le brame du cerf.
Oui, je sais, pour les enfants, ça peut être angoissant de se cacher en pleine nuit en lisière de forêt, pour surprendre des cerfs dont le cri en cette période se rapproche plus du rugissement du lion que du glapissement du lapin.

Et puis, il faut expliquer, aussi.
Que le cerf brame pour prouver qu'il est le plus fort et le plus beau, pour attirer les biches, et, à l'occasion, grimper dessus pour... enfin... voilà, quoi...

Bref ! Il ne faut pas manquer très tôt d'apprendre à nos enfants que la nature, ce n'est pas tout à fait comme dans Walt Disney.

Flore se serre contre Julien, mais ne dit mot (pour une fois), et écoute, fascinée et inquiète à la fois.
Voilà une chouette activité pour lui couper la chique : Je note.
Et la preuve, si besoin en était, de l'humilité de l'homme face à la puissance de la nature.
Je constate la vertu positive de la chose sur ma fille. Dommage que le brame ne dure que deux mois.

Racontant ça un soir à des copains, nous décidons de retourner y faire un tour, entre adultes, et prendre un peu plus de risques, s'aventurer dans les bois, goûter la magie de la forêt, la nuit, avec sa poésie, ses odeurs, son silence ponctué des petits acteurs de la vie nocturne.

Nous voilà, une dizaine de copains à la queue-leu-leu, tels des aventuriers, sur le sentier de la découverte.
Nous pénétrons plus avant dans les sous-bois. Nous savons que les cerfs brament en terrain découvert, et nous voulons nous poster derrière la lisière, pour tenter de les observer, d'entendre un combat, de repérer la harde.
Une fantastique expérience en perspective.

Mais c'est sans compter sur notre sens de la discrétion lié à une infaillible expérience d'hommes et femmes des bois.

Déjà, on a de la chance : La nuit est bien noire. Mais alors, bien bien noire. Nous avons pris une lampe torche, mais nous sommes convenus de nous en servir seulement en cas d'extrême urgence.
Le fond de l'air est frais et humide, beaucoup d'entre nous ont mis des Kways.
Et qu'est ce que ça fait un Kway, hein ? Sur un corps en mouvement ?
Ca fait : Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !

Alors, quand on marche en Bretagne, en haut d'une falaise venteuse ou dans les rues du village, au bord d'une route, il passe inaperçu, le Fffcchh ! Fffcchh !
Mais quand on est en forêt, la nuit, courbé, aux aguets, retenant son souffle, progressant sur la pointe des pieds pour se fondre dans le biotope avec circonspection, le Fffcchh ! se détache mieux, dans le silence des bois.

Ma voisine de derrière m'empoigne. Je sens au tressautement de son bras qu'elle ricane.
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !
- Chhhuuuuttt ! Faites moins de bruit, chuchote-je, moi qui fais ma maline parce que je porte une polaire.
- T'es marrante, comment veux-tu qu'on fasse ?
- Ouais, on va pas se mettre tout nu, non plus !
- Hihihihi !
Je conçois.
- Bon ben essayez au moins de limiter les dégâts.
- J'vois pas comment.

Nous continuons à avancer, aussi discrets qu'une armée de moissonneuses batteuses.
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !
- Chuuuuut !
- Oooh ! C'est chiant !
- hihihihihi !
- C'est toi qui fais encore plus de bruit en nous disant de ne pas en faire !
- Chut !
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !

Le fou rire monte. Mon amie, derrière, ne m'a pas attendue, et tente de ne pas glousser trop fort. Je la sens se gondoler au bruit que fait son Kway.
Des petits Ffch ! Ffch ! Ffch ! rapides et répétés.

Je la sens bien, cette sortie.

Soudain, retentit un bruit hors norme :
- Arrggghhhh !
Ce n'est pas le brame ; ce n'est pas un kway ; ce n'est pas un ricanement...

Mon amie derrière moi allume aussitôt la lampe torche et la pointe en direction du bruit. Un copain s'est fait barrer la route par une liane de chèvrefeuille en travers de la gorge, et tente désespérément de s'en dépêtrer en faisant de grands moulinets avec les bras.
C'est plutôt rigolo, dans le noir total, avec le faisceau lumineux qui éclaire juste son buste et son visage à demi-garrotté.
D'ailleurs, le fou rire nous gagne, sauf peut-être le copain étranglé, qui râle que franchement, quelle idée de se balader en forêt la nuit, merde...

Arrivé à ce point de notre escapade, je pense que cerfs et compagnie sont depuis longtemps allés voir ailleurs si on (n') y était (pas!)


Au final, on n'a pas entendu bramer.
Déçus, on est rentré à la maison.
On s'est fait un vin chaud pour se remettre.
On a fini la soirée, plutôt en forme.
Et pour ne pas perdre de vue que nous sommes de grands spécialistes de la faune sauvage, nous sommes restés dans le sujet en créant un canon à deux voix :

Dans la forêt un grand cerf,
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !
Essayait en vain d'bramer !
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !
Malgré un très beau concert !
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !
D'idiots en Kway !
Fffcchh !

 

12 sept. 2014

Un petit bout de langue

Julien entreprend donc le voyage pour Haïti tout seul. Avec des tonnes de médicaments (ça ne vous rappelle rien ?), des vêtements, des jouets, des cadeaux, son appareil photo, un petit ordinateur avec Skype, et des milliers de recommandations.
Nous sommes en décembre, la situation est assez stable en Haïti, nous trouvons un vol qui arrive en pleine journée (pas besoin de faire appel au chauffeur du Visa Lodge et à Spirou et Fantasio).
Tout se profile à merveille.
Mais, restons méfiants tout de même.

Je dresse une longue liste des questions que Julien devra poser et des remarques qu'il devra noter.
Il n'est pas médecin, mais il est chargé d'ausculter Alexandra sous toutes ses coutures. Parce que, dans son bilan médical, et dans les updates que nous recevons tous les mois, il y a des petites choses qui demandent à être précisées.
Par exemple, nous savons qu'elle est porteuse saine de la drépanocytose qui est une maladie génétique qui affecte les globules rouges. Elle n'en aura jamais de symptômes, mais ne devra pas avoir d'enfants avec un homme qui serait porteur sain également, parce que leur enfant développerait la forme pathologique.
Elle a également sur la peau des plaies dues à une infection de la gale... Le souvenir de l'Ascabiol étant encore récent (et cuisant, surtout), je demande à Julien d'y apporter une attention absolue !

Et puis, il y a une observation qui m'inquiète plus que le reste : Sur la plupart des photos qu'on nous envoie, Alexandra a le bout de sa langue sortie.
Lors de la procédure de Flore, je me souviens d'une petite fille qui avait été attribuée à une amie, et il s'était révélé, quasiment en fin de procédure, qu'elle était autiste. Le choc avait été terriblement violent, et j'en étais restée très marquée, pour de nombreuses raisons.
Alors , c'est sûr, je ne peux m'empêcher de guetter avec anxiété tous les signes d'une maladie mentale chez Alexandra...
Et cette petite langue m'inquiète.

Il ne faut pas perdre de vue que ces enfants n'ont pas eu le suivi dont les bébés français bénéficient dès la naissance.

Je me souviens aussi d'une petite fille qui souffrait d'hospitalisme.
L'hospitalisme, qu'on appelle aussi parfois le syndrome des pouponnières, est un syndrome de régression mentale, que développent parfois en orphelinat les enfants abandonnés, qui manquent de stimulation et, bien évidemment, d'amour. Par la suite, dans un environnement familial calme et aimant, les choses rentrent – normalement – dans l'ordre.
Mais les troubles de l'hospitalisme ne sont pas sans rappeler ceux de l'autisme. Comment faire la part des choses ? Surtout quand on est à des milliers de kilomètres ?

Certains parents adoptent des enfants avec des problèmes de santé ou des handicaps connus : troubles cardiaques, fentes palatines, séropositivité, trisomie, pieds bots... Ces parents acceptent leur enfant différent en toute connaissance de cause et y sont préparés.

Tout comme quand on met son enfant au monde, on n'est jamais à l'abri qu'une maladie se déclare.

Mais je repense à ces troubles mentaux ou psychologiques graves, qu'on ne décèle pas faute d'examens spécialisés, qui empirent avec l'abandon, le manque de stimulation, l'absence d'amour, la vie en collectivité, le bruit, le stress... et là on se dit que oui, en effet, il faut monter des dossiers et réunir toutes les informations nécessaires à l'adoption de notre enfant... mais pourquoi donc est-ce si long, quand on sait que chaque jour passé sans amour est un jour qui peut tuer !

Julien prend son rôle très au sérieux – c'est tout juste s'il n'a pas acheté le Vidal – se fait ses chek-list, imagine des scénarios, du meilleur au pire (basés sur l'excellente expérience de notre premier voyage), nous filme pour montrer à Alexandra, fait des albums photos, case des petits robes entre ses tee-shirt, répète ce qu'il doit dire (ou pas) aux juges et administrations haïtiennes, éparpille des dizaines de sachets de SMECTA dans sa valise, révise les prescriptions des autres adoptants concernant cette scrogneugneu de nouvelle procédure...

… et surtout, se prépare à voir Alexandra, à l'apprivoiser, à l'aimer puis... à revenir sans elle.

9 sept. 2014

Marie-Chris Moche

Cela fait un an que nous avons eu l'attribution d'Alexandra.
C'est long, un an.
En fait, c'est tellement long qu'on n'y croit presque plus.

Ce qui nous rappelle à la réalité, c'est qu'un rond de cuir haïtien a une illumination aussi subite qu'incohérente : Les parents adoptants doivent se rendre en Haïti en milieu de procédure pour signer un nouveau document.
Comme Haïti n'est pas vraiment une station balnéaire prisée, je ne vous dis pas le prix du billet d'avion !

Les premiers adoptants partent, et reviennent après quelques jours passés sur place et des témoignages édifiants : La signature a lieu dans une cahute ou sur le capot d'une voiture, dans la rue, en présence d'un greffier, parfois d'un juge de paix s'il n'a pas mieux à faire. Le document qu'on leur présente est tapé à la machine, dont les touches ne sont pas toujours bien encrées, comprend des erreurs, sur des feuilles volantes de qualité médiocre.
On nous conseille de nous faire prendre en photo lors de la signature pour avoir une preuve.
Tu parles d'une preuve.


Je ne veux pas apporter d'eau au moulin des donneurs de leçons anti-adoption qui prennent un malin plaisir à divulguer que nous nous procurons nos enfants à coups de dollars avec des procédures allégées et corrompues.
Mais parfois, il faut avouer que certaines démarches sont étonnantes et peuvent semer le doute chez des personnes non-averties ou promptes à dénigrer l'adoption internationale.

Pourtant, c'est une évidence pour beaucoup de parents adoptants : Honnêtement, comment regarder grandir son enfant avec franchise et honneur si on sait qu'on l'a acheté ou qu'il est issu d'un trafic ! Comment, en toute conscience, imaginer l'aider à se construire dans ces ignobles conditions ?

Il ne faut donc pas perdre de vue que dans l'adoption internationale, dans les pays qu'on ne peut comparer au nôtre, certaines choses vont forcément nous surprendre et nous échapper.

Cela dit, l'administration ou la justice, même en France, c'est parfois bien kafkaïen aussi.

Quoi qu'il en soit, notre procédure, on la connaît, et même si les documents sont tapés à la machine à écrire, bourrés d'erreurs, raturés, réécrits, signés sur un coin de table... , ils suivent un chemin précis, de nombreuses étapes dans différents ministères, sont validés, légalisés et sur-légalisés par plusieurs personnes, et franchement, pour en avoir vécu deux, je peux assurer que rien n'a été laissé au hasard, que les familles biologiques sont informées et suivies, que les enfants, même s'ils ne sont pas orphelins (comme la plupart des enfants adoptables), ont bien été donnés à l'adoption dans des conditions dramatiques, certes, mais après que toutes les autres solutions ont été recherchées.

C'est une étape difficile que d'imaginer cet abandon. Mais au-delà du drame psychologique, nous avons la garantie de ce qui s'appelle le rapport social, établi par un travailleur social de l'IBESR, qui a enquêté, et établi l'adoptabilité de l'enfant de façon claire.

Si j'insiste autant, c'est que, pour notre plus grand malheur, nous n'allons pas tarder à avoir à faire à des gens (hauts placés, comme on dit), suspicieux et humiliants, qui n'hésiteront pas à amalgamer des familles honnêtes avec des pratiques qui ne le sont pas et que nous réprouvons, justement parce que nous sommes au cœur de ces procédures et qu'il est de notre intérêt (psychologique, sentimental et juridique) qu'elles soient irréprochables.

Mais la colère m'égare, il sera temps, d'ici peu, que je vous fasse découvrir comme il est facile pour certains de se cacher derrière de faux bons sentiments pour anéantir des familles.

Et puis Noël approche.
Flore est très énervée, comme tous les enfants. Et elle se pose des questions fondamentales :
- Maman, tu sais pourquoi elle est moche, Marie-Chris ?
Moi, comme souvent, je ne comprends rien et la remarque tombe, tel un couperet :
- Mais mamannnnnnnnn! Rhôôôô ! Tu comprends rien ou quoi ?
- Alors explique moi, ma poulette !
- Ben dans la chanson de Noël, tu sais bien, le monsieur, il dit : « Oui, oui, où est Marie-Chris moche ! »
- …

Allez, moi aussi, I wish you a Marie-Chris moche !