30 juin 2014

85 - Des globules en forme de poème


Je pars à l'école. Ce jour-là, je suis au bureau, pour mon travail administratif.
La première chose que je fais en arrivant est de décorer les murs avec les photos d'Alexandra imprimées ce matin. J'arbore un sourire invraisemblable, mon cœur bat à cent à l'heure. Je vais faire la surprise à mes collègues, qui l'une après l'autre entrent dans mon bureau et regardent, étonnées, les portraits sur feuilles A4 .
- Des nouvelles photos de Flore ?
- Regarde de plus près !
- Mais, mais... C'est pas vrai !

Et c'est le défilé dans mon bureau, les questions, les émerveillements. Je brandis sous leur nez les liasses de résultats médicaux d'Alexandra que j'ai déjà épluchés en détail.
Je les relis comme un poème : globules rouges, globules blancs, taux de ceci et de cela, sérologie, bactériologie...
Oui, oui, je sais, pour vous, ce n'est pas passionnant, mais pour moi, si ! Tout ça, c'est dans le corps de ma petite poulette, et chaque résultat est une goutte de sang parmi les millions d'autres qui forment mon enfant.
Tout est bon à lui donner une réalité.

Je me suis toujours demandé pourquoi les mères éprouvaient le besoin irrépressible de montrer leur nourrisson à peine né à tout le monde : Il n'y a rien qui ressemble plus à un bébé qu'un autre bébé.
Et en même temps, non.

Ma fille est une petite fille comme des millions d'autres, et la voir en photo ne dira rien de particulier aux autres. Et c'est normal. Mais en même temps, pour moi, et je ne sais pas l'expliquer, c'est avec une fierté sans limite que je me délecte du regard de mes amis sur elle, j'aime qu'on s'extasie sur son visage, qu'on la trouve belle, qu'on me félicite avec sincérité.
Etonnant : pourquoi me féliciter ? D'avoir réussi à monter un beau dossier ? Et pourtant, j'encaisse les félicitations avec un bonheur sans limite.

C'est curieux, non ?
Quand on fabrique soi-même son enfant, on peut penser qu'en proie à un légitime prolongement narcissique de soi, on ait envie que tous le trouvent beau, que tous s'ébahissent devant le travail accompli pour le créer de toute pièce. Mais là ? Qu'est ce qui justifie que j'aie le même sentiment, alors que je ne l'ai pas portée dans mon ventre, que je ne l'ai même jamais vue en vrai, et que les photos ne sont même pas d'une grande qualité artistique ?

Sur le coup, je ne réfléchis pas à tout cela, prise par le tourbillon de bonheur qui ne cesse de croître, mais le soir, peu avant de m'endormir, à l'heure propice aux idées en pagaille, celle-ci me tarabuste particulièrement : La création instantanée et profonde d'un lien qui ne doit rien au sang.

Oh ! Je sais que certaines adoptions sont ratées, et que parfois ce lien ne se fait pas. Mais cela existe également dans les filiations biologiques. Alors c'est probablement plus grave pour le lien adoptif, puisque les enfants ont déjà vécu un premier drame de la séparation. Mais je sais aussi que dans la grande majorité des cas, ce lien parental se crée sans qu'on ait à y réfléchir, et il est d'intensité égale au lien biologique.

En tout cas, pour tous les (nombreux) parents pour qui le lien s'est fait, par je ne sais quel processus presque magique (pourquoi j'aime cette enfant ?), et dont Julien et moi faisons partie, il se passe quelque chose d'universel : Nous avons envie que les autres le regardent, l'accueillent, le trouvent beau, s'émerveillent et nous en félicitent.

Cette journée de travail me semble agréablement interminable car je la vis en double : je m'attelle aux tâches professionnelles qui me sont habituelles, et parallèlement, je viens d'être maman, le matin-même, et suis submergée par cette maternité spontanée bien qu'attendue.

Le soir, Flore veut voir les photographies de sa propre attribution.
Et tandis que j'ouvre à nouveau le mail que j'ai reçu quatre ans plus tôt, et qui me faisait maman pour la première fois, je lâche les vannes.
Mon cœur déborde : Peut-on aimer plus que je n'aime ces deux enfants que je n'ai pas portées.

Une petite main se pose sur mon bras. Deux grands yeux noirs regardent couler mes larmes.
Flore me dit :
- Maman, je sais : tu pleures d'amour.




5 commentaires:

  1. ouh lalalalalalaaaaaaaaaaaaa ! :o))
    des bisous
    S

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  2. Ah l'amour d'une maman ! Lorsque nous attendions l'arrivée d'Arthur (Haïti), je me suis quelquefois demandé si je l'aimerai aussi fort que Lucile (sa grande sœur biologique). Et dès que je l'ai vu et pris dans mes bras à l'aéroport, je n'ai plus eu aucun doute et je n'en n'aurai plus jamais !

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    1. Pareil pour moi, je n'ai jamais eu de doute.
      La seule question que je me suis posée, c'est la façon différente de les aimer toutes les deux.
      On en reparlera ;-)
      Quel âge a Arthur, maintenant ?

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    2. Arthur a 6 ans. Il est arrivé le 8 février 2010, rapatrié à Orly. C'est le petit garçon dont j'ai toujours rêvé : très dynamique et en même temps hyper câlin et (en ce moment, avant de passer à autre chose !) amoureux de sa maman !!!

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  3. Et moi, je pleure d'amour à te lire.....

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