19 mai 2014

76 - Le syndrome de l'abandon

Avoir un enfant adopté ne signifie pas penser en permanence que notre enfant a cette particularité.
Je ne passe pas mon temps à parler à ma fille de son adoption, ni même de son pays d'origine, d
'ailleurs.
J'ai même le sentiment que ce serait ne pas assumer notre acte d'adoption que de vouloir à tout prix se forcer à en parler - comme si notre enfant devait nous en être redevable à vie - ou à couvrir nos murs de tableaux d'art haïtien - comme si nous culpabilisions de l'avoir soustrait à son pays d'origine.

Adopter un enfant, c'est d'abord lui donner des parents qu'il n'a pas, mais c'est ensuite s'approprier pleinement les mécanismes de cette filiation particulière.

Ce qui me paraît primordial, c'est que chacun prenne conscience de la normalité de cette filiation.

Au quotidien, il est très rare que je me dise en regardant Flore qu'elle est adoptée.
C'est ma fille. C'est tout.
De même, la regarder ne me ramène pas à la culture haïtienne, qui n'est pas la mienne. Alors bien sûr, je respecte cette culture, et ce pays est cher à mon cœur, bien sûr que Flore a baigné dedans toute petite, bien sûr qu'un lien fort existe entre elle et son pays d'origine, mais quel serait l'intérêt d'un forçage culturel, dans un environnement géographique et familial qui ne l'a pas ?

Toutes nos histoires sont naturellement des patchwork : Ma fille s'est construite avec son lieu et ses parents de naissance, puis ses premiers mois à l'orphelinat. Nous nous sommes construits, en tant que personne, puis en tant que parents, avant son arrivée. Aujourd'hui, nous construisons notre famille ensemble, avec un souci d'unité, de cohérence, avec nos particularités et nos ressemblances.
Et l'important, c'est que tout cela s'imbrique avec naturel.

Et puis, comme j'aime le répéter souvent à ma fille, nous sommes tous des enfants de la terre, et nous sommes partout chez nous.
Je me souviens avoir eu à plusieurs reprises des enfants adoptés dans ma classe. A l'époque, je ne savais pas ce qu'était l'adoption. et je me suis toujours inquiétée de cette marque au fer rouge d'une filiation qui me paraissait entourée d'un grand mystère.
L'ignorance est souvent la source de peurs et de malentendus (au mieux). Et c'est bien dommage que cet apparentement ne soit pas mieux connu de tous.
Ca nous simplifierait la vie, à nous, parents adoptants. Et surtout à nos enfants.

En même temps, quand je titre « une maman (presque) comme les autres », ça a aussi un sens.  Certaines choses ne sont pas et ne seront jamais comme les autres familles.
Même si c'est très bien ainsi, car ces particularités sont une richesse, parfois, il faut faire face à des situations douloureuses.

Depuis des années, je pars cinq jours avec mes élèves de CM2 en classe nature, dans une maison forestière près de chez moi. A l'arrivée de Flore, j'y avais renoncé pour un temps.
Maintenant, Flore s'est bien adaptée, et je décide de repartir. En plus, le centre n'est qu'à dix kilomètres de la maison, elle pourra venir me voir tous les soirs.

Nous lui expliquons bien, allons lui montrer les lieux, regardons un calendrier pour compter le nombre de nuits (quatre « dodos ») où je serai absente. Bref, nous mettons tout en place pour la rassurer.
C'est sans compter sur le côté obscur de l'inconscient (joyeux pléonasme), et, dès le premier soir où je découche (alors qu'elle est venue me voir toute la fin d'après-midi), Flore soudain se plaint du genou (je-nous ?), ne peut plus marcher, et sa température grimpe à 41°.

Panique. Je suis coincée au milieu de ma forêt, impuissante, sans pouvoir laisser mes élèves, en proie à une culpabilité monstrueuse.
Mes parents l'emmènent aux urgences (y'avait longtemps). Auscultation, radio, prise de sang : Rien. 
Elle n'a rien.
Julien prend le relai. Ils passent tous les deux la moitié de la nuit aux urgences pédiatriques tandis que les médecins cherchent à comprendre. De mon côté, je dors par à-coups. Me maudissant de l'avoir laissée.
La nuit est longue. Très longue.

Le lendemain, la fièvre a un peu baissé, mais elle ne marche toujours pas. Les médecins ont toutefois éliminé toutes les causes graves.
Je continue ma classe nature, le cœur meurtri de voir arriver toutes les fins d'après-midi ma petite chiffe molle. Même si le plus difficile est passé.

Le vendredi soir, quand je regagne mes pénates, j'ai le bonheur de voir accourir à moi une petite fille en pleine forme, sans aucune séquelle apparente de l'épisode qu'elle vient de vivre.

Alors, Julien et moi, nous comprenons. Nous comprenons que l'abandon est puissamment inscrit en elle, et que nous aurons beau faire, même si elle vivra de mieux en mieux les séparations au fil du temps, sur ce sujet-là, elle aussi, elle sera toute sa vie une enfant
presque comme les autres.




6 commentaires:

  1. Coucou, ça fait quelque temps que je suis tombée sur ton blog et ne m'en lasse pas de te lire ! J'adore vos aventures ;-)

    Bisous à la petite Flore qui m'a fait tellement rire avec l'histoire du homard.

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    1. Merci de me suivre, c'est sympa de me laisser un commentaire de temps à autre ;-)
      Je transmets le bisou...

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  2. Je "suis" votre magnifique aventure.... Mais pour vous rassurer -si besoin était - ma fille, qui n'est pas une enfant adoptée, souffrait de la peur de l'abandon. Pourquoi? un mystère qui n'a jamais été élucidé. J'aime votre histoire, elle est très belle

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    1. C'est étonnant, en effet. Les enfants ont souvent des peurs irraisonnées. Le principal, c'est que nous parvenions à les rassurer pour que cela ne perdure pas trop.
      Merci de votre commentaire ;-)

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  3. je me (nous) reconnais tout a fait la dedans ! 5 ans apres son arrivée, elle est super autonome sur plein de trucs, mais les separations sont toujours difficiles, et elle dort la plupart des nuits ds mon lit ('parce que je sais ou tu es qd je dors ds ton lit !!')
    ca va mieux, mais ca reste un terrain fragile .... Et à la voir si bien ds ses baskets, qqn d'exterieur ne me croirait pas si je lui racontais tt ca !
    on garde espoir ! :o)
    des bises
    Sylvie

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    1. Il paraît que les endormissements peuvent être problématique : On ne sait pas ce qu'il peut arriver à son réveil. J'ai le problème avec Adèle (plus Flore, ça a fini par passer. De même que les problèmes de séparation : la dernière colonie de vacances, c'est moi qui ai eu des problèmes, pas elle, hihihihi!), qui se réveille souvent.
      Notamment à son arrivée, à l'heure du séisme, elle hurlait et souvent se réveillait.
      Bises à vous deux

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