75 - Les urgences

Est-on plus casse-cou quand on est un enfant adopté ?
Je me pose la question.
Pourquoi ? Parce que j'ai dû prendre un abonnement aux urgences pédiatriques de l'hôpital.
Renseignement pris (pour savoir où je me situais dans la norme urgentesque), mes amies n'ont pas fait tant d'allers-retours que moi, jours et nuits, en pédiatrie.

Souvent pour pas grand'chose, plus de peur que de mal : 41° de fièvre sans plus pouvoir marcher, l'ingestion d'une boule anti-mite, un doigt profondément entaillé au ciseau (à bout rond) qui ne s'arrête plus de saigner, des vomissements incessants, une dégustation forestière de champignons inconnus...
Rien que de très normal chez Flore.

J'ai cependant plus mal vécu le coin de la table basse dans l'oeil.
Un jour qu'elle joue avec un petit camarade, j'entends un cri. Ma fille étant une spécialiste des vocalises extrêmes, je ne bouge pas.
Mais quand elle arrive la main sur l'oeil gauche, avec le sang qui coule A FLOT, le mien (de sang) ne fait qu'un tour.
Je vais pour lui soulèver sa main afin de voir l'étendue des dégâts, mais bien sûr, elle ne veut pas. Commence alors un rapport de forces où je la menace d'utiliser un pied de biche pour voir.

Finalement, ce n'est pas l'oeil (ouf !), mais le dessous de l'arcade sourcilière est très fortement entaillé.
Nous filons direct aux urgences en pilotage automatique. Là, Flore est prise en main dans la foulée. Pour les avoir beaucoup pratiquées, je trouve que les urgences pédiatriques sont efficaces (je n'en dirais pas autant des urgences adutes. N'y voyez pas là une critique du personnel hospitalier qui court dans tous les sens, mais du manque de moyens).

Un médecin arrive, me dit qu'il faut recoudre.
Aïe.
Je connais ma fille, ça ne va pas être simple.

Mais les infirmières sont des magiciennes, et mettent Flore sous méopa, le fameux Mélange Équimolaire d'Oxygène et de Protoxyde d'Azote. Un nom à coucher dehors, mais d'une efficacité redoutable pour détendre l'atmosphère. Surtout avec un masque qui sent la fraise.

Voilà donc ma Flore qui se met à rire, à rire, à rire. Ce qui faire rire tout le monde dans la petite salle, les deux infirmières et le médecin.
L'une d'elle explique que parfois, certains enfants chantent.
Qu'à cela ne tienne, Flore, qui aime particulièrement chanter, et qui retient bien mieux les mots quand ils sont dans les chansons, se met à pousser la chansonnette dans son masque...
- C'est joli, dit le médecin, poli. Et c'est quoi, exactement ?
- Euh... un extrait du chant des partisans, réponds-je moi-même un peu surprise.

Ca aurait pu être au clair de la lune, meunier tu dors, l'incontournable araignée Gypsy ou même toutouyoutou, mais non. Flore, qui m'accompagne aux cérémonies patriotiques avec mes élèves de CM2, a parfaitement enregistré deux couplets du chants des partisans, qu'elle restitue, quasi intacts, au médecin étranger, et qui ne connaît pas l'hymne de la résistance française.

Alors, tandis qu'il recoud l'arcade de ma fille, les infirmières et moi faisons un petit cours d'histoire au médecin, encouragée par Flore qui malgré le masque donne du « Ohé partisan, ouvrier et paysan, c'est l'alarmeuuuuu ! »

Il n'empêche que la Flore, du coup, se laisse faire sans broncher : Est-ce le méopa ou le vol des corbeaux sur la plaineuuu ?
Mystère !