71 - La crèche

Comme Julien et moi travaillons tous les deux, nous avons inscrit Flore dans une crèche parentale en attendant qu'elle rentre en maternelle.

C'est une petite structure familiale, avec peu d'enfants et un environnement agréable.
Vue la demande, chaque enfant n'a droit qu'à un jour par semaine.
Flore y va donc tous les lundis matins, et y déjeune le midi avant que ma belle-mère ne la récupère pour la garder l'après-midi.

Exceptionnellement ce jour-là, j'ai la possibilité d'aller chercher Flore à 13 heures.

Ca me permet de voir comment ma gamine évolue en groupe et d'en parler avec la directrice et la puéricultrice. Bon, je ne me fais pas de soucis, puisque la vie en communauté, ma fille, elle connaît bien.

J'arrive donc toute guillerette à la crèche. Un groupe d'enfants entoure la puéricultrice qui raconte une histoire. Mais pas ma Flore.
Elle, elle est deux mètres plus loin avec son propre livre en train de se faire son histoire à elle.

Rien de grave, me dis-je, j'ai l'habitude, Flore est plutôt une enfant indépendante.

La puéricultrice me voyant se lève d'un bond et vient vers moi avec une mine inquiétante qui commence à me ficher la trouille.

- Ah! Là, là ! Ca ne va pas du tout, Flore ! Elle mord tout le monde !
Bonjour madame, moi aussi je suis contente de vous rencontrer, comment allez-vous et à part ça il fait beau...
Mais je ravale mes réflexions, et lui demande si elle a grondé Flore.
- Non, ce ne sont pas mes pratiques. Je lui ai longuement expliqué que si elle voulait s'exprimer avec les autres enfants, il fallait qu'elle s'y prenne avec davantage de respect...
Bon.

J'imagine Flore, ses deux doigts dans la bouche, la regarder comme deux ronds de frites pendant son sermon.
Je suis moi-même assez encline à intellectualiser les choses (trop, des fois ? Oui ? Bon !), et je sais qu'il est nécessaire d'expliquer les choses aux enfants, mais je crains que les leçons doctes et longuettes n'aient sur elle que fort peu d'effets. Ce qui, à deux ans et demi, se conçoit.

Mais bon, quand la dame me demande de faire à Flore un cours sur les bonnes manières en société chaque veille de crèche, j'acquiesce.

Comme un malheur ne vient jamais seul, elle enchaîne :
- Ah et au fait, elle sait mâcher sa nourriture votre fille ?
Alors là, estomaquée, je ne sais quoi ânonner d'autre que ben oui, d'autant que je me dis que si elle sait mordre, forcément elle sait mâcher.
Et je t'en remets une couche :
- Parce que le plat que vous lui avez préparé (c'est nous qui fournissons le repas), elle n'a pas réussi à le mâcher.
Semoule, légumes de couscous maison et fines lamelles de poulet, je n'ai pas non plus donné à ma fille un Tbone Steack avec du céleri-rave cru !

Je sens la puéricultrice très agacée, et avec ses gros sourcils qui se rejoignent quand elle fronce les yeux, elle me fait penser à quelqu'un.

Alf ! Elle me fait penser à Alf !
Qui renchérit :
- Et puis que de toutes façons, quand son plat n'arrive pas assez vite, elle pique dans l'assiette des voisins.

C'est ma fête, aujourd'hui.

Pour tenter de calmer les choses, je fais mine d'être moi aussi très en colère, je prends ma gamine dans les bras et lui fais tout un laïus que tu-dois-respecter-pas-mordre-piquer-la-nourriture-des-autres-et-puis-faut-mâcher.

Mais la dame, qui visiblement n'en a pas fini avec nous, approche son nez (plissé) de Flore, lève un doigt et rajoute:
- Oui et faut être plus concentrée dans les moments collectifs !

Je pose doucement ma fille au sol en lui disant d'aller-jouer-maman-revient et me penche vers Alf en lui demandant quand exactement elle compte inscrire les enfants à sciences-po !
Et l'énervement me tombant dessus d'un coup, je rajoute qu'elle devrait se méfier, parce que ma gamine étant, comme ses ancêtres, probablement cannibale, elle wisque de dévower les petits blancs de la cwèche !
Et la puéwicultwice avec, dis donc...

Puis je pars, laissant Alf médusée, avec ma fille mordeuse, voleuse, pas intello et qui sait pas mâcher.

Tiens, pour lundi prochain, je vais faire de la purée. J'aurai au moins réglé le problème du mâchage.