5 mai 2014

70 - la plénière (1)

Vous vous souvenez du document qu'il avait fallu cacher dans nos sous-vêtements au passage en douane à l'aéroport de Toussaint Louverture ? 
Et bien revenons un peu dessus.

Ce papier, qu'on appelle un consentement éclairé, est l'autorisation que donnent les parents biologiques à transformer l'adoption simple, seule reconnue en Haïti à cette époque, en adoption plénière.

La différence entre ces deux formes juridiques d'adoption est fondamentale. 

Qu'est ce que l'adoption simple ?
- L'adopté conserve tous ses liens (juridiques) avec sa famille d'origine, y compris les droits héréditaires.
- L'adopté garde sa nationalité d'origine.
- L'adoption simple peut être révoquée pour motifs graves.
- Il est très compliqué de procéder au changement de prénom (si les parents adoptants le souhaitent).
- L'enfant adopté n'est pas inscrit sur le livret de famille.
...

Pour l'adoption plénière, c'est simple (enfin, si je peux me permettre ce mauvais jeu de mots) : l'enfant adopté bénéficie exactement des mêmes droits que s'il était biologique.

On peut comprendre que les parents adoptants mettent tout en œuvre pour obtenir cette fameuse adoption plénière.
Mais la difficulté, c'est que comme elle n'est pas légale en Haïti, il y a une procédure un peu tarabiscotée à suivre.
Anxiogène, aussi.

C'est le tribunal de notre département qui, après étude de notre dossier (que nous allons nous empresser de monter, comme nous savons si bien le faire) pourra (ou non) transformer l'adoption simple qui nous a été accordée en Haïti en adoption plénière.

Pour cela, quelques petites épreuves nous attendent.

Pour commencer, donc, nous devons obligatoirement être en possession du fameux consentement éclairé.

Puis il nous faut le bilan d'adaptation de notre enfant, établi par les services sociaux (bonjour madame Marvel), suite à quelques nouveaux entretiens.
Je passe ces épisodes qui, à ma grande surprise, se déroulent merveilleusement bien, Flore nous ayant fait l'honneur, le jour des rendez-vous, de montrer le meilleur d'elle-même, nous évitant les suées dues aux Toutouyoutous, « au'r'voir pine » et autres plongeons tête la première sur le carrelage.

Ensuite, il faut transmettre au Procureur de la République tous les papiers originaux de l'enfant. Ces papiers doivent être tous légalisés par l'autorité étrangère – ça, c'est fait - mais aussi surlégalisés par le consulat de France en Haïti.
Et j'ai beau regarder tous les tampons (et il y en a, toutes les administrations haïtiennes y allant de leur petit coup !), je ne vois rien qui ressemble à un tampon français.

Bon.

Ca commence. 
On ne va pas retourner en Haïti pour trois coups de tampon quand même !
Il se trouve que d'autres adoptants sont dans le même cas que nous. A plusieurs, on est plus forts (enfin, c'est tout relatif face à la force d'inertie des administrations et services juridiques français), et le TGI finit par nous proposer d'envoyer des copies certifiées conformes en Haïti, via la valise diplomatique.

Ce que nous faisons.
Avec grand espoir.
Vite balayé par le mail,
quelques semaines plus tard, de l'ambassade de France à Port-au-Prince : Ils refusent catégoriquement de surlégaliser des copies certifiées conformes.
Il faut envoyer les originaux.

Julien se retient d'aller faire part de tous les noms d'oiseaux qu'il connaît au secrétariat du Procureur de la République

Nous envoyons donc nos originaux, et heureusement qu'on nous autorise la valise diplomatique, parce que se séparer des seuls documents qui prouvent que Flore est notre fille ne nous fait pas rire du tout.

Je ne sais pas pourquoi, le soir même où la valise part, je me replonge dans le Château, de Kafka.
Une idée en l'air, comme ça.

Ca ne me rassure pas vraiment, mais je me sens moins seule, face à l'implacable logique humaine, à la maltraitance psychologique de tous les partenaires français et étrangers de l'adoption, au dédain des tribunaux, du ministère des affaires étrangères et de nos propres ambassades, qui tous profitent lamentablement du fait que nous ferions tout pour avoir le droit de vivre heureux avec notre enfant...
C'est à pleurer...

Heureusement, Flore sourit, et j'oublie que les cons existent...

2 commentaires:

  1. Quel stress tout ça... il n'y a que si l'on est passés par là que l'on sait... Et je vous envoi plein de courage pour tenir jusqu'à ce que les fameux papiers reviennent ! Arggggh que c'est rageant et frustrant tout ça !

    Bises

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  2. Le film Brazil, made in France... Bises

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