3 avr. 2014

57 - Le voyage de retour (1)

Tout s'arrange pour que nous ramenions Mattéo avec nous. Bon, pas très simplement, c'est sûr : Fançoise nous faxe les documents manquants ainsi qu'une décharge parentale, qui doit être acceptée et estampillée par les services sociaux haïtiens.
Ses parents procurent à Mattéo a un billet d'avion électronique (ça a son importance pour la suite).
Dixie explique au petit bonhomme qui nous sommes, et que nous allons faire un grand voyage ensemble pour l'amener à ses parents.
Nous faisons ce qu'il faut pour le mettre en confiance, tout en gardant une certaine distance afin qu'il comprenne bien que nous ne sommes que des passeurs.

Parallèlement, nous nous préparons psychologiquement à affronter à nouveau l'aéroport de Toussaint Louverture.

Parce qu'il faut dire que les témoignages des autres adoptants concernant le départ d'Haïti sont tout aussi flippants que ceux qui concernaient l'arrivée :
Il ne faut pas oublier de présenter notre visa temporaire, celui sur lequel est écrit « récréation ».
Avant l'embarquement, il existe un kiosque IBESR où les fonctionnaires sont très pointilleux : Ils peuvent vous demander de sortir tous les papiers du dossier pour les vérifier un à un. Et là, s'ils le veulent, ils peuvent nous créer des ennuis avec les fautes, et ce n'est pas difficile : sur les documents administratifs haïtiens, tapés à la machine à écrire, les fautes (de frappe, d'orthographe des noms communs mais aussi des noms propres) sont pléthores.
Sans compter le consentement éclairé.
Celui-ci doit être carrément planqué dans notre culotte !
C'est dire.
Pourquoi ?

Pour l'expliquer, il faut que je fasse une petite digression. La loi haïtienne ne reconnaît que l'adoption simple, qui est une forme d'adoption juridiquement moins complète que l'adoption plénière. Afin que les adoptants puissent, en France, faire changer la simple en plénière auprès d'un tribunal, il est nécessaire d'obtenir des parents biologiques un consentement qui stipule qu'ils renoncent de façon irrévocable à leurs droits parentaux et autorisent l'adoption plénière.
Cela se fait dans tous les dossiers d'adoption haïtiens, mais ce n'est pas autorisé par la loi. Donc, ce consentement n'est surtout pas à mettre dans le dossier, car si l'IBESR tombe dessus, cela peut avoir des conséquences... comment dire... compliquées.
Au mieux.

Le nôtre est donc bien caché, sur moi (je ne dirai pas où...) et je vérifie toutes les trois minutes qu'il ne s'est pas faufilé ailleurs, le bougre.

Sinon, en plus du kiosque IBESR, on a appris également que la douane pouvait à son tour nous faire vider les valises et dépouiller le dossier. Ainsi que les gendarmes haïtiens qui eux, ont déjà interpellé des adoptants en pleine salle d'embarquement pour une fouille complète.
Avec le bol qu'on a dans les aéroports, j'ai peur qu'on cumule !

Sauf que non. Nous, il nous est arrivé quelque chose que je n'avais jamais lu dans les témoignages. Mais vu qu'on est abonnés aux situations burlesques et originales, autant ne pas faillir à la tradition.

Nous arrivons à l'aéroport. LaDawn, une bénévole de l'orphelinat qui s'occupe des adoptants, nous conduit et se propose de rester avec nous pour nous aider à franchir les premières étapes.
C'est toujours ça de pris.
Il fait une chaleur encore plus intense que les jours précédents.
Nous découvrons l'aéroport sous un autre jour. Ce qui est le cas de le dire, puisqu'à l'arrivée, il faisait nuit. Il n'y avait quasiment personne (sauf dans le couloir de la mort, si vous vous rappelez bien). Là, c'est bondé.
Nous nous dirigeons au comptoir d'Air France, où nous expliquons à une dame charmante que nous avons trois billets papier et un billet électronique (celui de Mattéo), mais qu'il faut absolument que nous soyons placés côte à côte, ne pouvant pas laisser le gamin seul dans un coin de l'avion.
Commence alors une très longue attente, où la charmante se décarcasse pour régler le problème. Sauf que pour bien commencer, elle ne comprend pas la situation. Julien lui explique. Une fois. Deux fois. Trois fois.
Ca n'a pas l'air très clair dans sa tête.
Julien s'impatiente. Il a Flore dans les bras. Lui qui pourtant supporte bien la chaleur qui grimpe sans cesse, est trempé. Je regarde les comptoirs, ils ont tous un grand ventilateur au plafond. Sauf celui d'Air France auquel il manque une pale. Bon, c'est pour nous. Comme on est bien parti pour y passer une partie de la journée, on est content.

Tandis que Julien parlemente patiemment avec la charmante, un homme en costume se présente à moi. Dans le vacarme de la salle, je ne comprends pas tout ce qu'il me dit, d'autant que son accent créole est assez marqué. Je finis par comprendre qu'il fait partie du service de sécurité de l'aéroport, et qu'il va nous escorter jusqu'à la douane. Je n'étais pas particulièrement inquiète de cette étape de l'embarquement, mais bon, pourquoi pas.

Julien m'appelle, et me demande d'expliquer à la dame. Peut-être qu'une autre version de notre situation l'aidera à comprendre.
De son côté, elle fait appel à une collègue, et à nous quatre, on finit par démêler le nœud (qui n'en était pas vraiment un, mais c'est une question de point de vue).

Phase deux : trouver quatre places contiguës. Ce qui n'est pas simple non plus.
Je regarde ma montre, le temps passe. Nous sommes arrivés en avance, mais tout de même, faudrait voir à pas trop perdre de temps : On a encore quelques fouilles au corps à subir, nous.

Je ne sais pas si c'est nous, ou la dame, ou le ventilateur cassé, ou le pas-de-bol, mais la démarche prend encore un temps inapproprié. Je n'en peux plus d'être debout, avec des chevilles à la Clarabelle (vous savez, la copine de Minnie dans le journal de Mickey, qu'a toujours de gros pieds dans ses chaussures).
Je suis admirative des deux enfants, qui ne bronchent pas, probablement assommés par la chaleur.
Julien dégouline. Il n'a pas assez de son mouchoir pour s'éponger. Il demande à la dame si elle n'a pas une boîte à outils pour qu'il répare le ventilateur.
Je lui fais signe de ne pas parasiter sa réflexion. Sinon, on y est encore ce soir.
Mais je suis mauvaise langue, et elle finit (non sans mal) à nous trouver quatre places.

Il faut maintenant enregistrer nos bagages.
Allez savoir pourquoi, vu comme c'est engagé, je développe une certaine vigilance à l'égard de la manœuvre. L'instinct dû à l'expérience, sans doute. Je me penche donc sur le comptoir, tandis qu'à côté de nous, quatre bonnes-soeurs s'enregistrent pour Pointe-à-Pitre.
La dame attrape tous les bagages, les nôtres et ceux des religieuses, et tape sur sa machine. Un ruban autocollant en sort, qu'elle colle avec une grande claque sur nos valises. Au même moment, je lis (à l'envers, habitude d'instit'), « PAP - Gua » sur l'étiquette, tandis que les bagages entament leur démarrage en trombe sur le tapis roulant. Destination finale : Pointe-à-Pitre, Guadeloupe.
Sans plus me contrôler, je hurle à l'hôtesse, qui sursaute de peur, de stopper le tapis !
Nous, c'est à ORLY qu'on va, pas en Guadeloupe.
Et en plus, notre escale, c'est Fort de France, en Martinique.

Penaude, elle retape sur sa machine et nous sort les bonnes étiquettes, qu'elle me montre pour relecture avant de les coller par-dessus les autres.
Je prie (et pas les ouinch ouinch diplomatiques de d'habitude) pour qu'ils ne se décollent pas.

Enfin, au terme d'une heure et demi de tourments, nous quittons le comptoir surchauffé d'Air France.

Fins prêts pour affronter la suite du périple.


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