20 août 2014

chaussures, moteurs et intestins



La procédure est vraiment beaucoup plus longue que celle de Flore.

Du coup, très anxiogène, aussi.
Je n'ose pas harceler la directrice de l'orphelinat avec mes questions, car je me dis que si elle a des nouvelles, eh bien elle nous le dira...


Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, comme on dit !



Sauf que là, non.



Les mails se font rares, parce qu'en fait, tout traîne, tout change, et quand on ose envoyer trois mails de suite parce que, franchement, au bout de quatre mois d'attente silencieuse, on ne sait toujours pas où on en est, la réponse laisse pantois :


« Le dossier d'Alexandra est dans les mains de l'avocat. Il s'occupe d'un document manquant, puis soumet le dossier à l'IBESR. Cela devrait normalement prendre quelques semaines .
Passez une bonne journée »



C'est ça : Passons une bonne journée...

Une bonne journée illuminée par la nouvelle que le dossier est arrivé dans les mains de l'avocat (dans quelles mains était-il avant ? Du mécanicien ?).
Une bonne journée où je découvre qu'il manque un document (lequel?).
Une bonne journée où j'apprends que le dossier n'est pas encore à l'IBESR qui est quasiment la première étape !
Une bonne journée puisque la résolution de ce problème ne devrait
normalement prendre que quelques semaines (Trois ? Huit ? Trente-deux ?)



Mais, impuissante, je n'ai pas d'autres choix que d'accepter la situation que, de toutes façons, je ne maîtrise pas.



Je prends un peu de recul. Les choses vont se faire, il faut juste apprendre à être patient, et accepter que, pendant le temps où les papiers manquent, les signatures traînent et les numéros d'enregistrement du dossier dans les différents services se mélangent (ça c'est déjà vu...), notre enfant grandisse loin de nous.



Un mois, une semaine, un jour, une minute sans maman et sans papa, quand on a à peine deux ans, c'est un mois, une semaine, un jour, une minute de trop.
Tout ce temps sans aide, sans bisou, sans câlins, sans amour, pour apprendre, pour se construire, pour s'apaiser, c'est long !

Je suis en colère, et pourtant, ce n'est rien comparé à ce que l'avenir me réserve, et dont je n'ai encore aucune idée.
Et qui sera sans aucune commune mesure avec ça.


Mais en attendant, je vis mes petits deuils successifs : celui de ses premiers pas, de ses premiers mots, de ses premières dents, de ses premiers fous-rires, de ses premiers anniversaires...



Ce qui aide, c'est qu'à la maison, nous avons toujours du « grand Flore » qui nous occupe l'espace, le temps et l'esprit.
Elle qui a mis du temps à parler commence à très bien maîtriser le verbe, principalement dans l'effronterie.
Et elle ne se gêne pas pour me dire ce qu'elle pense de mes principes éducatifs :
- Mais, dis-donc, Flore, qui est-ce qui commande ici ?
Menton levé, mains sur les hanches, yeux dans les yeux :
- Je préfère ne pas répondre !
Bon. Comme ça, c'est clair !



Après le changement de maison, nous décidons de changer de voiture. Julien fait les petites annonces, et repère quelques automobiles d'occasion assez grandes pour nous quatre.
Je ne mets pas le nez là-dedans. Pour moi, les automobiles, c'est de l'utilitaire, et à part ma première deux-chevaux que j'ai adorée, j'avoue que je ne suis pas très intéressée ni compétente dans le choix de la chose.
Je veux juste qu'elle soit pas trop moche et peu polluante.



Un samedi qu'il est au travail, Julien m'appelle.
- Une affaire ! Le propriétaire va venir te la montrer.
- ME la montrer ? Mais pourquoi MOI ? Je n'y connais rien !
- Oui, je sais, mais il faut faire vite, c'est une affaire, elle risque de partir rapidement. Il faut sauter sur l'occasion ! Je lui ai dit de passer ce matin.


Ce matin. 
Alors que Flore et moi sommes encore en pyjama.


Je le maudis ! Puis blinde dans la douche en catastrophe, habille Flore sans y penser, qui, comme une bonne chose ne vient jamais seule, est d'une humeur massacrante.
Pas moyen de lui mettre ses chaussures !
Je force comme une brute en lui criant de ne pas m'énerver (son père s'en est déjà bien chargé).
J'appelle ma sœur pour qu'elle vienne me la prendre le temps de voir le vendeur.
Qui sonne à la porte au même moment.
Flore, hurlante, n'arrive pas à mettre un pied devant l'autre. Elle y met vraiment de la mauvaise volonté.
- Oui, oui ! J'arrive, monsieur !
- AAAAhhhhh ! Maamaaaannnnn ! Aaaïïïïeuuuuu !
- Mais arrêêêête, Flore ! Qu'est-ce que t'as enfin ?
- Mmmmaaaiiiss ! Aaaïïïïeuuuuu !

- Ding ! Dong !

- Oui, oui ! J'arrive !
Et j'ouvre la porte, agrippant Flore par le bras qui tient à peine debout ! Tant pis, je traîne le lombric derrière moi, comme si de rien n'était, tentant de parler au monsieur qui doit bien se demander si je me suis aperçue qu'il y avait une petite fille accrochée à ma main.


Au moment où nous arrivons sur le parking, ma sœur nous rejoint pour me délivrer de Flore, s'arrête et éclate de rire.
D'un œil, elle me montre le problème : J'ai mis à Flore la chaussure droite sur le pied gauche et inversement.

Normal qu'elle n'ait pas pu avancer !

- Oh ma pauvre doudounette ! Excuse-moi !
- Non !
C'était prévisible, mais j'ai d'autres chats à fouetter !
Flore disparaît avec ma sœur (qui lui a remis ses chaussures dans le bon sens), me lançant des oeillades assassines !

Je peux enfin me concentrer (de toutes mes forces) sur la voiture.
- Monospace cinq portes, finitions Zen avec GPS et Radar arrière, motorisation TCE 130 Energy, boîte manuelle, à essence...
- Mouii !
- Puissance 97 Kw, puissance 130 Din, puissance fiscale 7 chevaux, 1197 cm3, 4 cylindres, 4 soupapes, couple maxi 205,
- Aaahh !
- 6 rapports, empattement 2703 mm, volume coffre en dm3 : 437, volume coffre siège arrière rabattu 1837 - en dm3, toujours, hihihi !
- Evidemment, huhuhu !
- Poids à vide : 1320, PTAC : 1955 kg, cycle urbain : 7,5, cycle extra-Urbain : 5,4
- Ah oui, quand même !
- Vous voulez voir le moteur ?
- …
- Je vous le montre ?
- Est-ce bien nécessaire ?
- Ben quand même, vous achetez une voiture, c'est important que vous voyiez le moteur.
- Oh, moi, vous savez...
- J'insiste !
- Bon
Le monsieur soulève le capot, fier de me montrer son moteur.
- Nickel, hein ?
- Vous savez, moi, vous me montreriez une radio de vos intestins, ça serait kif-kif !
Le monsieur n'a pas d'humour, et claque son capot, vexé que je ne sache pas apprécier sa tuyauterie à sa juste mesure.

Après quelques échanges où je ne sais franchement pas quoi lui dire (- Ah oui, c'est une belle couleur, ça, le gris ! - Elle a l'air bien entretenue ! - Volant, clignotants, tableau de bord, sièges, ceintures, tout y est, c'est chouette !...), il me laisse sa carte sans grand enthousiasme, et repart avec sa voiture rutilante à 4 soupapes, 6 rapports et 2703 mm d'empattement !

Je reste pantelante sur la chaussée, à lui faire gentiment un petit coucou d'adieu (je ne le reverrai jamais !), pour compenser mon incompétence, puis je rentre, furibarde, téléphoner à Julien et lui dire que jamais, plus jamais, il ne me fasse un coup pareil !


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