13 juin 2014

82 - La chair de ta chair

Une invraisemblable opportunité se présente à nous : La maison juste à côté de la nôtre (qui est toute petite) est à vendre. Et à un prix défiant toute concurrence.
Deux étages, une belle véranda, une terrasse, un jardin ! De l'espace supplémentaire qui permettra – entre autre - une chambre en plus.
Le rêve !
Il s'agit maintenant d'aller séduire notre banquier. Ce qui ne me paraît pas gagné d'avance. Mais j'oublie toujours que je suis fonctionnaire, et qu'au final, les personnes comme moi, sérieuses (si !) même si peu encline à gérer rigoureusement son compte en banque, représentent une aubaine pour les banquiers : Ils se font de l'argent sans risque sur nos découverts puisqu'ils ont la certitude que nous serons payés à la fin du mois.

Nous faisons des simulations, nous mettons en concurrence plusieurs banques (dont une, qui mérite bien son nom en rapport avec l'agriculture puisqu'elle n'a pas voulu nous lâcher un sou... nous toisant de haut comme si on demandait la lune !).
Mais nous finissons par trouver des inconscients qui acceptent de nous prêter de l'argent, via le crédit social des fonctionnaires.

Nous mettons en vente notre petite maison, et les démarches commencent, presque aussi stressantes que celles pour adopter.
Tout aussi incongrues, en tout cas.
En effet, nous entrons de plain-pied dans le monde sybillin des banquiers et des notaires, découvrant les joies des formules juridiques absconses et des frais abyssaux.

Une autre préoccupation, c'est l'attitude de Flore par rapport à notre maison : Elle ne veut pas la quitter, pleure sa chambre et chaque recoin de sa maison.
Ce qui ne m'arrange pas trop trop.
Parce que moi aussi, j'ai le cœur déchiré.
Pour dire, moi qui suis une hyper-empathique avec les Hommes et les Animaux (oui, oui, vous avez bien lu, il y a aussi un A majuscule à Animaux), je le suis tout autant avec les objets.
J'en veux pour preuve les crises de larmes à chaque fois que j'ai dû revendre une de mes voitures (ma Titine, ma première deux-chevaux, hante encore mes pires cauchemars...).
Le fait que je ne me sépare jamais d'aucun objet, aussi insignifiant soit-il, chacun ayant son histoire, imbriquée dans la mienne (vous imaginez le bric à brac chez moi)
Et plus récemment, le malaise que je ressens quand j'entre dans la chambre de ma fille et que je trouve ses peluches face contre terre. Il faut absolument que je les retourne, voire que je les installe confortablement sur le lit ou sur un coussin. L'hiver, même, je leur mets une petite couverture. Des fois qu'il fasse froid.

Alors me séparer de ma maison...

Flore et moi partageons cela, mais beaucoup d'autres choses aussi.
Ma fille a bien grandi. Elle n'est plus du tout ni frêle ni chétive. Elle a une musculature d'athlète, un port de reine et un visage aux traits fins et réguliers ; une peau marron doré, lisse et douce ...
De ce point de vue, elle ne tient pas de moi.
Forcément.

En revanche, nous partageons la même sensibilité, avons des ressentis étonnamment semblables, et des goûts en commun : les chats, le jambon-nouille, les livres, les étoiles, le camembert, la forêt...

Nous nous comprenons sans nous parler, avons les mêmes fous rires, elle me connaît par cœur, je sens sa présence avant de la voir, elle reconnaît ma voix parmi d'autres, je souffre quand elle est malade, elle lit en moi comme dans un livre ouvert.
Sans l'avoir portée dans mon ventre, c'est tout de même en moi qu'elle trouve le terreau qui parsème son chemin guidant ses pas d'enfants vers sa vie d'adulte.
Chaque instant, nous construisons son avenir, par tous les échanges et les dons qui jalonnent notre quotidien.
C'est bien en moi que se trouve cet amour si puissant qu'il est capable de me faire préférer une autre personne à moi-même.

Alors, quand par deux fois en peu de temps on m'assène :
- Oui, c'est sympa, d'adopter, mais essayez quand même d'en faire un vous même, parce que rien ne remplacera jamais la chair de ta chair.
Je reste dubitative, parce que, franchement, c'est quelque chose qui pour moi n'a aucun sens.



5 commentaires:

  1. On est pareille ma Sophie! Moi aussi bcp bcp bcp trop empathique et ça finit par nuire on te le reproche même! Et idem pour les objets je garde je garde je ne peux rien jeter comme ma grand mère qui avait le surnom de "racate tout"
    C'est du patois je crois ça veut dire qui garde tout, qui récupère tout.
    Pour le lien "de sang" je suis comme toi, je ne comprends pas. Mes filles je les sens dans mes tripes!
    Bon pour ce qui est des banquiers....

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  2. Ah et ma première voiture s'appelait aussi Titine! Une super 5 Bordeaux qui roulait a 70 sur l'autoroute qd ça montait trop!!!

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    1. Ma deudeuche aussi reculait dans les montées, héhé !
      Bises ;-)

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  3. oui vraiment les liens du sang ...pff ça n'a pas de sens non plus ici...avoir adopté ma fille ou bien mis au monde mon fils c'est du pareil au même finalement...(je vous laisse imaginer les commentaires des gens quand ils ont su que j'étais enceinte....en plus d'un mec!)
    pour emm......er ma vieille tante raciste je lui ai dit que comme le veut la tradition familiale la maison irait à l’aînée bien-sûr!....elle était furax, elle nous en veut à mort...

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    1. Bien fait ! (pour la vieille tante, je veux dire !) ;-)

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