32 - Mais c'est loin d'être terminé...

De toutes façons, nous sommes vite rattrapés par le côté administratif de la procédure : Dixie nous informe que dès le lendemain, il y aura une réunion à l'IBESR (le ministère des affaires sociales), entre le responsable, Monsieur Roussel, et les directrices de crèche : Il y a deux problèmes importants à régler, et ce n'est pas gagné d'avance.
D'une part, le problème des dispenses pour enfant biologique : L'adoption en Haïti n'est pas permise quand tu as un enfant bio (comme on dit), mais en fait, tu peux quand même adopter, si tu as une dispense présidentielle. Sacrée galère, parce que le président de la république d'Haïti, il n'a pas vraiment que ça à faire, de signer des dispenses d'adoption. Voire même, ce n'est pas trop sa priorité. Du coup, des dossiers patientent des mois et des mois dans l'antichambre de son bureau, à attendre un créneau.

Mais, comme tu le sais, nous n'avons pas d'enfant bio (malgré l'acharnement thérapeutique du tout-puissant), nous ne sommes donc pas concernés.
C'est toujours ça de pris.

En revanche, la loi stipule que pour adopter, il faut avoir 10 ans de mariage. Julien et moi, sur ce coup-là, on n'est pas dans la mouise. N'oublie pas qu'on s'est marié pour adopter, donc on a grosso-modo huit ans et des brouettes qui manquent à l'appel. Bon, là, la loi est souple, et les juges pas trop regardants sur ce problème. Sauf que, comme un fait exprès, c'est pile le moment où on arrive qu'un fonctionnaire zélé décide de se pencher sur ce problème, menaçant d'appliquer la loi à la lettre.
On est les maudits de l'adoption ou quoi ?


Je n'en reviens pas : on est passé par toutes sortes d'épreuves qu'on a surmontées, et là, un truc dont tout le monde se fiche menace de faire capoter notre procédure. C'est le pompom.

Bon, je rigole, mais en fait, je n'ose imaginer la portée d'un tel revirement :
Parce que l'agrément, c'est un bout de papier.
Parce que les pré-dossiers, ce sont des bouts de papier.
Parce que le gros dossier, ce sont tout plein de bouts de papiers.
Si ça ne fonctionne pas, ça fait mal, mais bon, on a perdu du temps et des papiers. Point.

Mais l'attribution, ce n'est pas un document estampillé et légalisé. C'est une petite choupette, entrée dans notre vie, dans notre tête, dans notre cœur. Si d'un coup, on nous dit que ce n'est plus possible...
Tu imagines ce que l'on perd ?
Non.
C'est inimaginable.

Commencent alors de longues semaines de peur : Monsieur Roussel va-t-il mettre ses menaces à exécution, traînant ainsi dans le désespoir quelques milliers de parents.
Des milliers de parents.
J'entrevois un espoir. Dans tous les messages d'inquiétude qui fleurissent sur les forums d'adoption, une chose me frappe : Nous sommes très très nombreux à ne pas répondre à ce critère d'années de mariage. Tellement nombreux, qu'en y réfléchissant bien, ça ne me paraît pas possible de rendre caduc autant de dossiers !

Je m'accroche à cette idée.
Au fond de moi, la peur subsiste, mais je reste confiante.
Et je regarde les photos de ma fille, et en tire une force hors du commun.

Dans le même temps, je rejoins le forum des adoptants de la crèche de Dixie. C'est là qu'une merveilleuse aventure d'amitié et de complicité va naître : Un groupe d'une trentaine de filles (les quilles, comme on se dénommera nous-mêmes), en pleine procédure, et qui partagent tout, tout, tout et même plus, soudées par la même histoire, par l'attente des enfants, et par les aléas de la procédure.

Une invraisemblable amitié.

Le groupe qui est le lieu de tous les pétages de plombs, de tous les délires, de toutes les peurs, de tous les moments de joie.

Et surtout, d'un soutien indéfectible.