14 oct. 2014

Le 12 janvier 2010


Je me lève. Nous sommes mercredi.
Julien et Flore dorment encore.

Comme tous les matins, je mets les infos sur France Inter.
Je suis mal réveillée, pourtant, quelque chose dans le ton du journaliste m'interpelle.
Sa voix, dramatique, répète la même chose, en boucle, qui résonne dans ma tête comme dans une église vide.
Tout se met à tourner dans et autour de moi :
Un séisme de magnitude 7,3 a ravagé Port au Prince et ses environs.

Tellement abasourdie, j'ai du mal à mettre une réalité sur les mots qui me parviennent, tronqués. Je n'en retiens que des bribes, des mots violents qui font mal :
Milliers de morts... Personnes ensevelies... Bâtiments détruits... Désastre sans précédent...

Je me mets à hurler comme une folle.
Julien et Flore arrivent en courant dans la cuisine, où je suis assise, hagarde, fixant le poste de radio.
Julien s'effondre, Flore ne comprend pas. Je n'arrive pas à parler. Julien parvient à lui dire qu'il y a eu un tremblement de terre en Haïti. Elle me regarde sans rien dire, ne réagit pas. C'est Flore : râleuse et bavarde, mais qui intériorise toujours les choses graves.

Le téléphone se met à sonner, sonner, sonner ! On nous appelle de partout, famille, amis, voisins...
- Vous avez entendu les infos ?
- Avez-vous des nouvelles de l'orphelinat ?
- Savez-vous si Alexandra...
Alexandra... Alexandra...
Ma petite mère aux yeux malicieux, pleine de joie de vivre !

J'ai la sensation d'étouffer. La douleur est insupportable. La radio diffuse des informations en boucle, le séisme, les répliques, les morts, le séisme, les répliques, les morts...


Comment une chose pareille est-elle possible ?

Haïti, pauvre Haïti, belle, fière, forte et brisée !

Tous les enfants...
... et la nôtre...

Ma sœur pleure au téléphone :
- Trouve un moyen de savoir !

Sans y croire, j'allume mon ordinateur et me connecte sur le site de l'orphelinat.
Ils ont réussi à joindre leur contact aux Etats-Unis. Un énorme message en rouge et gras remplit la page d'accueil : L'orphelinat a tremblé, tout est tombé, tout s'est cassé, les murs tressaillent encore...
Mais les enfants et le personnel sont en vie. Tous réunis dans la cour, non loin des bananeraies, là où cela risque le moins.
Enfin, ils espèrent.

Notre fille est en vie... En situation précaire, mais en vie.
Tous les enfants d'Haïti n'ont pas eu cette chance.
Et mon soulagement intense ne m'apporte aucune joie.

.
Des pensées en cascade me submergent. Il faut se mobiliser. Pour les haïtiens. Pour leur apporter notre aide. Pour l'orphelinat : Qu'en est-il des réserves d'eau ? De la nourriture ? Comment préserver les enfants des répliques, des maladies...

Et tandis que je prends de plus en plus conscience du chaos mortel qui touche un pays entier, je mesure la place infime que revêt notre procédure d'adoption, mais ne peux me défaire de cette belle phrase lue un jour quelque part : Sauvez un enfant, et vous avez sauvé l'humanité !

Je n'ose me l'avouer, mais oui, je veux sauver ma fille.
Passés les moments où nous allons parer au plus urgent, commencera un dur combat pour faire rapatrier Alexandra.
.
Nous n'y parviendrons pas de sitôt.

Mais on va tout faire pour.


16 commentaires:

  1. Oups ce récit m'a noué les tripes et j'ai eu les larmes aux yeux... La suite ! vite !

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  2. 4 ans et demi plus tard, en te lisant, j'ai de nouveau les larmes aux yeux... Les larmes qui remontent a la surface avec tous ces souvenirs de cette période. Des larmes de tristesse et d'effroi, puis des larmes de colère....

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    1. Ca a été un moment tellement fort.
      Merci de ta fidélité, Eliane...
      Bises

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  3. puree... on s'en souvient de ce jour la ... et de tout ce qui a suivi .... :(
    des bises
    Sylvie

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    1. Oui, des moments pareils, ça ne s'oublie pas...
      Bises

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  4. A chaque fois que je viens ici, j'ai les larmes aux yeux. D'habitude, des larmes d'émotion et de bonheur. Aujourd'hui, des larmes de tristesse.

    Je n'ose imaginer ce que vous avez vécu.

    Amicalement

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    1. Merci de me suivre, Chris.
      Oui, le moment a été terrible... Ce qui a suivi aussi.
      Amitiés

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  5. Tes billets de ces derniers jours remuent tellement de choses en moi. Aujourd'hui, ma fille est à mes cotés. Mais je veux penser à toutes les victimes de cette catastrophe et plus particuliérement au 58 petits amis de ma fille désormais petits anges qui veillent sur nous...

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  6. Le tremblement de terre m'avait déjà retournée à l'époque mais là imaginer les moments que vous avez dû vivre... C'est le mot cruauté qui me vient à l'esprit parce que je lis ce récit avec les yeux et le coeur d'une maman. On aurait voulu contribuer à sauver des milliers de vies, à alléger le sort de toutes ses vies, mais quand il s'agit de son enfant et qu'on est à l'autre bout du monde.... Je n'ai pas les mots.....

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    1. J'ai eu beaucoup de mal à faire la part des choses entre tous les sentiments que je ressentais. Il ne m'a pas été possible de penser uniquement à ma fille. Ce qui est le comble pour une maman... Ce mélange de sentiments a été très difficile à gérer...

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  7. je me souviens...nous avions nos enfants avec nous, nés dans un autre pays, mais notre OAA était aussi en Haiti, j'ai téléphoné pour dire qu'on pensait à eux, pour soutenir...quoi faire de plus? des dons ensuite bien sur.
    Tous les enfants allaient bien.
    Puis toutes ces bêtises racontées à la Tv, les images...
    et là j'ai mon dernier bébé qui dort dans mon dos, arrivé dans un état assez moyen.

    C'est vrai que c'est pas évident à gérer : notre enfant, les enfants, on voudrait tous les aider, même si notre adoption n'est pas humanitaire, comment ignorer le sort de ces enfants qui auraient pu être les notres?

    le séisme c'était en 2010, aujourd'hui encore, là bas et ailleurs, les enfants ont besoin de nous, il faut s'engager dans les assos, aider ceux qui aident.

    Ce que vous avez du vivre...personne ne peut l'envisager dans sa pleine dimension.

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    1. Beaucoup de parents ont été solidaires, adoptants ou non, d'ailleurs. Cela fait du bien de se sentir soutenus... même 5 ans après !
      En effet, il y a encore beaucoup à faire (en Haïti mais ailleurs aussi!) pour aider !
      Comment va votre dernier bébé ? Il vient d'où ?
      Merci pour votre témoignage !

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  8. Et nous refaisons un bon de presque 5 ans en arrière mais il me semble que c'était hier.
    Nous avons eu la nouvelle tard le soir même du tremblement de terre. Avant d'aller me coucher, j'ai comme d'habitude zappé sur BFM pour faire un tour d'actualité. Il était environ minuit et le séisme nous a frappé de plein fouet. Je me souviens d'avoir été tétanisée alors que Fred mon mari a eu le réflexe de téléphoner immédiatement à la crèche où était Arthur. Il a eu la nounou qui lui a dit que les bâtiments étaient par terre mais tous les enfants sains et sauf et puis... coupure de téléphone et silence radio pendant 10 jours !
    Puis les coups de fil de la famille, des amis, des autres parents adoptants de la crèche qui venaient aux nouvelles.
    Puis gérer Lucile qui du haut de ses 5 ans se demandait ce qui se passait.
    Et ensuite a démarré le marathon des appels incessants pour faire rapatrier Arthur. Je crois que mon mari connaissait le n° du consul par cœur !

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    1. Merci pour ton témoignage, Véro.
      J'ai ressenti la même chose, attendre notre enfant, s'occuper de celle qui était déjà là et qui ne comprenait pas forcément... Parer au plus pressé, contacter tout le monde... Tout cela va être le sujet des prochains épisodes, et j'ai tant à dire !
      Merci encore!

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