13 mai 2014

74 - Les TOC

Flore s'exprime de mieux en mieux. Non, je devrais plutôt dire de plus en plus.
Quelques mots se forment bien, d'autres pas encore.
Elle est à quelques semaines de faire sa rentrée en petite section, et je m'inquiète un peu de voir que ça ne se structure pas plus que ça.

Ce qui est difficile, quand on est maman adoptante, c'est de parvenir à faire la part des choses entre ce qui relève de l'évolution habituelle de l'enfant, et ce qui relève des troubles liés à l'adoption.
Par exemple, si elle ne parle pas, est-ce suite au traumatisme de la petite enfance ? De son abandon ? Du fait que pendant seize mois, elle n'a entendu parler que créole et anglais ?
Ou bien est-ce parce que je réponds à sa place quand on lui parle (ben ouais, j'ai quelques réticences à la laisser exposer son vocabulaire audacieux), que je la comprends malgré tout, que je me marre de ses « au r'voir, 'ney » et toute la clique de tournures rigolotes dont elle nous abreuve ?

Allez savoir. Je me fais violence pour ne pas systématiquement tout mettre sur le dos de l'abandon, et de sa première partie de vie en orphelinat. Mais comme c'est toujours plus simple de chercher un responsable que de se remettre en question, j'ai parfois un petit fond suspicieux à cause de son passé.

Il faut dire qu'elle met la dose.

Par exemple, pour toutes les formules de politesse.
Je ne parle pas d'au revoir, ça, elle le dit cinquante fois par jour (« au r'voir, 'quettes »).
Je ne parle pas de bonjour, ça, elle ne le dit jamais (comme ça, c'est réglé).
Mais il y a chez Flore un rite qui s'ancre, concernant s'il te plaît et merci. Même que j'en ai des sueurs froides, selon la personne à qui cela s'adresse. Elle est rentrée dans l'opposition, et même si elle ne manie pas bien les mots, elle a une dialectique tout à elle.

Je m'explique.
S'il te plaît, c'est plé.
Merci, c'est mi.
Jusque là, tout va bien, on est dans le dialecte Floresque.
Mais là où ça se complique, c'est que Flore ne voulant rien lâcher, ça donne :
- Encore 'ouille, maman, encore 'ouille !
- Tu veux encore des nouilles, mon poussin ?
- Vi !
- Comment on demande ?
- Plé !
Puis, se retournant vers le sol et baissant d'un ton :
- NON, plé !
Ou encore :
- Tiens Flore, une petite chouquette.
- Qu'est ce qu'on dit à la boulangère, ma poulette ?
- Mi !
Sourire attendri de l'assemblée, jusqu'à ce que Flore se retourne et rajoute :
- NON, mi.

Si. 
Je vous assure. 
Et nous sommes Julien et moi toujours sur le qui-vive, car le "plé" ne va plus sans son "non, plé" et le "Mi" sans son "Non, mi".
Bon, nous, à force, on s'y fait.
Mais ce sont les autres qui ont du mal.

C'est chez moi une question récurrente : Que faire quand une situation dérape. A mon avis, rien, même si l'idée de partir en courant m'a déjà effleurée plus d'une fois.
Un dîner chez des amis. Nous sommes six couples et quelques enfants. L'ambiance étant chaleureuse et conviviale, ça titille les petits. Forcément.
Dont Flore (enfin, surtout Flore) qui entame la traviata alors qu'on n'en est qu'aux cacahuètes.
C'est un coup à faire une fausse route.
- Elle chante bien, cette petite.
- Et encore, vous ne l'avez pas entendue dans Véronique et Davina !
- Non, mais on a hâte.

Je tâche de calmer ma fille, mais plus je m'y attelle, et plus la situation devient incontrôlable. C'est une loi incontournable de la petite enfance.
Je suis gênée, exaspérée, contrariée, fatiguée.
Quand un des invités lance à la cantonade :
- Moi, il y a longtemps qu'elle aurait eu une fessée !
Et me voilà humiliée, en plus.

Au final, la situation s'arrange quand notre hôtesse (qui a trois enfants) propose de mettre un petit dessin animé à la télé (qui se transforme en nuit des télévores. Tant pis. Moi qui étais contre, je reviens sur ma décision : la télé, ça peut avoir plein de vertus, si on regarde bien).
Puis je noie mon incompétence de mère dans le gin-tonic, et n'adresse pas la parole de la soirée au donneur de leçons (et de fessées).

Mais ce qui m'inquiète le plus, ce sont les TOC.
Flore est bourrée d'obsessions.

Par exemple, la voie qui mène à notre portail est légèrement en pente. Quoi de plus drôle que de se lancer à fond les gamelles en courant pour aller s'écraser contre le portail.
Et bien, si jamais la courbe de sa course n'est pas conforme à son attente, et si elle ne s'écrase pas exactement à l'endroit prévu sur le portail, elle pique une crise, remonte la pente et recommence.
Jusqu'à ce que toute la manœuvre dans ses moindres détails soit en accord avec ses prévisions.
C'est bizarre, non ?

Il n'y a pas que le portail.

Elle est capable de me faire refermer dix fois la portière de la voiture, si celle-ci ne claque comme elle l'entend.

Elle renverse son plat de courgettes si j'ai coupé le légume en long alors que d'habitude je le coupe en rondelles.

Elle remet plusieurs fois le même CD s'il y a eu un élément perturbateur au moment de son passage préféré.

Elle referme la porte au nez des visiteurs s'ils ont frappé deux fois au lieu de trois.

C'est sympa. Imprévisible. Ca donne du piquant à la vie.
Et puis, surtout, ça ne nous fait pas passer pour des dingos. Comme la fois où elle se met à hurler dans la boulangerie en me grimpant le long des jambes, parce qu'elle ne veut pas marcher dans les traces de boues sur le sol, un jour de pluie. J'ai dû la porter le plus haut possible, ainsi que mon sac à main, son doudou, la baguette et le sachet de chouquettes (au r'voir, 'quettes !).

Chaque jour nous offre un nouveau rebondissement, qui sur le sol, qui sur un parcours, qui sur une porte, et ce n'est que quand ma pédiatre m'assure que ce ne sont que (que ?) des tics de rassurement que j'envisage les choses d'un air plus serein.

Parce que franchement, à plusieurs reprises, je me suis quand même demandé si elle n'était pas un peu zinzin, ma fille.

4 commentaires:

  1. Fantine refusait que ses pieds nus touchent l'herbe ou le sable (pratique l'été) et Élise a une peur panique des insectes surtt s'ils sont tout petits petits (moucherons, mouches, coccinelles...)
    C,est vrai que ça peut faire peur leur comportement. Moi encore a 4 ans je m'angoisse en projetant trop... Bon elle a bien tourné au final la tienne dc ça me rassure:0)

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  2. Oui, Flore a bien tourné, même s'il reste parfois quelques bizarreries, globalement, je dirais qu'elle est assez normale (mais l'est-on jamais tout à fait ?) ;-)
    Les insectes ou les araignées, ici aussi c'est rock'n'roll ! Avec une phobie des faucheuses particulièrement. Bon, on est à la campagne, faut faire avec !
    Sinon, Fantine, ça a fini par s'arranger ?
    bisous

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  3. Je ne suis pas experte en adoption mais j'ai trois enfants (bientôt 4) et je pense en effet que ses tocs dont tu parles sont un moyen pour elle de se rassurer, de prendre des repères. C'est assez sain si tu y regardes de plus près ;) de plus si la pédiatre n'y trouve rien d'alarmant j'ai envie de te dire "détends-toi" ;) Concernant l'épisode avec les amis, honnêtement adoption ou pas les gens pensent toujours mieux savoir que toi comment élever tes enfants, c'est rageant c'est frustrant mais c'est comme ça je pousserais jusqu'à dire que il y a des gens "bêtes" partout.... J'ai eu ma première à 17 ans et demi et je te laisse imaginer les réflexions que j'ai pu entendre de personnes qui se pensaient plus aptes que moi à savoir comment réagir à telle ou telle situation. Maman adoptante ou pas c'est avant tout être Maman!! et si je n'avais qu'un seul conseil à te donner c'est fies-toi à ton instinct ;) bises

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    1. Oui Delphine. Je pense que souve, l instinct nous guide pas trop mal....
      Pour les tics de rassurement c est passé avec l âge. Je crois que beaucoup d enfants en ont.
      Bises.

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