7 mars 2014

44 - L'arrivée à l'aéroport Toussaint Louverture


Pour arriver à Port-au-Prince, nous aurions pu nous y prendre autrement :


Passer par Miami, mais le retour avec Flore, haïtienne, aurait été complexe, les Etats Unis exigeant un visa particulier long à obtenir, et qui aurait retardé la procédure.
Passer la nuit en Guadeloupe ou en Martinique pour reprendre un vol le lendemain matin, et ainsi arriver de jour, mais nous n'avions rien trouvé, une semaine avant, nous permettant cette possibilité.
Passer par Saint Domingue puis traverser la frontière (en petit avion ? En car ? En voiture de location ?) pour rejoindre Port-au-Prince, mais c'était très aléatoire.

Comme je le disais, nous, on a bien choisi notre voyage : celui que tout le monde déconseillait !

Nous nous posons donc en fin de journée, décalqués après douze heures de vol, prêts à tout... Alors qu'en fait, non, il ne nous était pas possible d'imaginer une seule seconde ce qui allait nous arriver !

Par l'expérience des adoptants qui nous avaient précédés, nous savions quelques petits trucs : Les passages obligés, les choses à éviter, la conduite à tenir, les mots à dire, ceux à ne pas dire etc.
Julien et moi avions révisé plusieurs fois dans le Boeing (pas dans l'Airbus, je dormais !).

Première impression d'Haïti, quand je sors de l'avion à air conditionné sur le tarmac, j'ai le sentiment d'être projetée dans une cocotte minute. Instantanément, je me mets à transpirer comme un bœuf. Ca te dissout les effets du Lexomil dans l'air ambiant, ça.
Même Julien, plus habitué que moi à la chaleur, avoue se sentir oppressé !

Première étape, l'immigration. Impératif : Quand le préposé demande la raison du voyage, il faut dire « récréation ». Oui, c'est bizarre, je sais.
Il tamponne notre passeport, complète un feuillet jaune sur lequel il inscrit le mot « récréation ». Attention, nous dit-il, il ne faut SURTOUT pas perdre ce feuillet, indispensable pour le voyage de retour.
Ca y est, je flippe.

Ensuite, on file chercher l'incontournable chariot à 1 dollar (c'est obligatoire).
Ah ! A ce propos, on a prévu des dollars en petites coupures, et on les a éparpillés dans nos sacs, poches ou bananes, pour ne pas avoir à sortir des liasses, bien trop tentantes.


Nous récupérons nos bagages sur un tapis roulant qui grince tellement qu'on a envie de l'aider à avancer, et on empile sacs, malles et valises sur le chariot à 1 dollar.


Entre nous et la sortie, une quinzaine de controleurs nous attend.
Au premier contrôle, on nous demande notre consigne de bagage, preuve qu'on s'est bien acquitté de nos 1 dollar. La dame, charmante, regarde notre chariot d'un air dubitatif, et garde le papier de consigne. Je croise les doigts pour qu'on ne nous le demande pas une seconde fois (ça s'est déjà vu).


Vient ensuite le douanier. Un mastar, mélange de Shwarzennegger et de Barracuda de l'agence tous risques. Je me sens toute petite.
- Vous n'avez rien déclarer ?
Sa voix de stentor résonne dans ma boîte cranienne comme le début de la fin, tandis que Julien applique les leçons apprises par coeur :
- Non. Nous venons en récréation !
(Dans ma tête : Hi ! Hi !)
- Pas de médicaments ?
(Dans ma tête : Qu'est ce qui peut bien lui faire croire ça ?)
Du coin de l'oeil, je vois Julien accuser le coup.
Je tente le sourire angélique :
- Non, non, monsieur !
(Dans ma tête de moins en moins raccord (le Lexomil, peut-être ?) : Juste vingt kilos). Et de rajouter :
- Juste notre consommation personnelle, bien sûr, huhuhu !
Et Ô miracle ! Ca marche ! Barraschwarzy (ou Schwarzycuda ?) se fend d'un grand sourire (probablement pas dupe) que je lui rends avec plaisir (et soulagement, surtout).
Les autres nous laissent passer.

Mais le calvaire n'est pas terminé !
Nous savons qu'à partir de maintenant, nous devons affronter le couloir de la mort.
Si.
Derrière la barrière des officiels que nous venons de franchir haut la main, après un virage à 90°, se trouve le couloir qui mène à la sortie, et où TOUT PEUT ARRIVER.

Premier conseil de nos prédécesseurs, surtout, restez zen. Souriant. N'ayez pas l'air stressé. Ni étonné. Ni inquiet. D'ailleurs, Julien et moi avons beaucoup révisé ce passage dans l'avion.
Je le regarde, il me regarde : Comme d'habitude, nous sommes en parfaite adéquation avec les prescriptions : la pupille dilatée, les sourcils froncés, les joues cramoisies, la sueur qui perle, la mâchoire qui tremble, la bouche pincée, le physique typique du touriste serein qui vient vivre sa petite récréation sous les tropiques.

Nous prenons une forte inspiration avant d'amorcer le tournant.
Et on se lance !
Go ! Go ! Go !
Nous voilà, deux poules devant un clou, face à une foule grouillante de personnes qui n'attendent que nous ! Des hommes autorisés (comprenez ceux qui ont graissé les bonnes pattes) nous sautent littéralement dessus, s'arrachent nos bagages, nous bousculent, nous hurlent à l'oreille « taxi ? », « bagage ? », « voiture ?» , « traducteur ? », « Madame ?», « Monsieur ? », « dollars ?»... et des mots en créole que nous ne comprenons pas.
La règle, c'est de leur dire, fermement mais gentiment : Non, merci, on nous attend !
Mais justement, où est celui qui nous attend ? Je guette dans la foule le chauffeur du Visa Lodge, je prie intérieurement qu'il soit bien là, qu'il nous fasse signe, qu'il n'ait pas oublié, qu'il ne se soit pas trompé d'heure... Quand soudain, trois hommes habillés en groom (genre Spirou) se ruent sur nous, tout sourire, en hurlant « Visa Lodge ! Madame, Monsieur, vous êtes Hôtel Visa Lodge ? »
- Ouiiiiii ! crie Julien.
Nous sommes sauvés !
Finalement, on s'en sort drôlement bien.
L'un d'entre eux s'empare du chariot des mains de Julien, l'autre pose son bras sur les bagages comme pour les maintenir, le troisième repousse les importuns qui continuent de nous harceler.
Ils ont bien fait les choses, au Visa Lodge.

Nous prenons un nouveau virage qui mène au parvis de l'aéroport. Là, une autre foule attend, coincée derrière des barrières. Les trois grooms ont mis le turbo, et slaloment ventre à terre entre les gens avec une dextérité impressionnante. Julien vient ensuite, tentant comme il peut de suivre le rythme, un homme accroché à sa manche qui lui demande "taxi monsieur, taxi ?". Puis galopant derrière, moi, essoufflée, à tordre (à peine humide, l'atmosphère), quand j'aperçois quelqu'un derrière la barrière, avec un petit panneau "VISA LODGE"!
Arrrggghhh !
Je hurle à Julien qu'on s'est fait entuber ! Que les trois Spirous sont des arnaqueurs. Julien tente de les rattraper pour les plaquer, mais ils sont arrivés à la fin des barrières et sont de nouveau en pleine accélération (vers où ? on ne sait pas !). Je crie au Monsieur qui tient le panneau Visa Lodge "c'est nous, c'est nous !", ce qui ne veut pas dire grand chose, au passage, mais il comprend et démarre en trombe aussi... Et nous voilà tous à courir (franchement, je ne sais pas pourquoi on court), les trois mecs et le chariot (et nos 80 kilos de bagage), Julien derrière qui a réussi à décrocher le taximan de sa manche, le chauffeur de Visa Lodge et enfin, haletante derrièr
e, moi, qui suit le train sans savoir où on va.
Hallucinant !


Le chauffeur du Visa Lodge qui parvient à dépasser tout le monde, tente de récupérer le chariot. En vain. Les trois ne veulent rien lâcher. Il prend alors les devants, et, toujours courant, nous dirige vers l'emplacement où il est garé.

Après ce qui me paraît être une course interminable, il freine enfin devant un gros 4x4, et tout le monde stoppe avec lui.
Ouf ! J'ai craint à un moment qu'ils envisagent un marathon et ne disparaissent avec le chariot.
Les quatre haïtiens, habitués au climat, semblent assez frais. Julien et moi, moins.
Julien sort un dollar qu'il donne à celui qui a poussé le chariot. Mais les deux autres s'interposent : Il y en a un qui a posé la main sur nos bagages, et l'autre qui a couru à côté, quand même.
Heureusement qu'ils n'ont pas été cinquante à nous suivre.

Les trois grooms repartent. Nous nous tournons vers le chauffeur. L'homme a le visage grave, grêlé de marques, la mâchoire carrée, les traits durs. Et, sur le pare-brise de son 4x4... un trou de balle (riez pas !) !
Ca me donne presque envie de retourner courir avec les Spirous.


Julien a alors la présence d'esprit de demander au chauffeur s'il a une preuve qu'il est bien employé au Visa Lodge ! Celui-ci nous présente un badge, sorte de papier cartonné fané où on devine le logo de l'hôtel et une photo méconnaissable. De toutes façons, on n'a pas le choix : Il n'a pas la gueule de l'emploi, son 4x4 est déglingué, son
badge fait-main, mais bon, on fait quoi, sinon ? On dort sur le parvis ? On court à pied demander asile dans Cité Soleil ?
Il faut bien faire confiance.
Alors, on grimpe dans le 4x4 à trou de balle.


Avant de partir, je m'étais fait des plans : En proie à une sorte de vague romantisme, je m'imaginais poser sereinement un tout premier regard au sortir de l'aéroport sur le pays de ma fille.


Sauf que bon, j'ai rien vu : sous les tropiques, à l'heure où on débarquait, la nuit tombe – Boum ! - d'un coup d'un seul...

Et en plus, je courais !


13 commentaires:

  1. oh oui, ça me rappelle des choses... j'avais encore droit aux questions médicales comme c'était du temps de la grippe dangereuse ( pas de fiève, vous êts sûre Mme, moi qui transpirait comme tout)..
    Arrivant début d'après-midi j'avais droit à Cherry (? pour l'écriture exacte) avec un tableau de GLA au RV terminal et un 4/4 garé au parking gardé avec deux hommes dedans... c'est qui en fait ? Comme tu dis , pas le choix et j'étais seule.. donc courage et je monte.
    J'attends la suite avec impatience :-) Sonja

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  2. Ah ! Nous, on est passé outre les questions médicales, dis donc ! La chance !
    Tu as eu du courage d'y aller seule ! ;-)

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  3. J'ai rigolé mais sur le coup, ça devait être angoissant!

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    1. Surtout surréaliste ! Complètement surréaliste ! En fait, on n'a pas eu le temps d'angoisser ! Et pour ce qui est de rigoler, après, le soir, à l'hôtel, un monstrueux fou-rire !

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  4. Eh bien! Haletant...Vous l'avez échappé belle!
    Vivement la suite...

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    1. Hihihi! En fait, on se fait sûrement plus de plans que nécessaire... mais quand on ne connaît pas... ;-)

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  5. ohhh puree ! l'arrivee qui met ds le bain, tt de suite ..... !!

    des bises
    Sylvie

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    1. Ah oui, tout de suite dans le bain, pas de doute !

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  6. ca rappelle bien des souvenirs ...sauf que moi j'avais 24h de retard suite à divers problèmes d'avion , et que j'ai patienté une heure à la sortie entre 2 gardes de sécurité charmants en attendant le chauffeur de la crèche...qui n'est jamais arrivé , et la crèche ne répondait pas au téléphone ! heureusement j'ai pu joindre par portable la haitienne devant me loger qui est venue me récupérer en catastrophe juste avant que l'aéroport ne ferme pour la nuit, mais sinon les gardes m'avaient trouvé une gentille chauffeuse de taxi pour me conduire au besoin à un hotel !

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    1. Mince, Marion ! il faisait nuit ? Cela dit, c'est vrai, beaucoup te sautent dessus en espérant quelques dollars, mais franchement, les gens sont super gentils !

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    2. La nuit effectivement ...Mais c'est vrai que j'ai été très touchée par la gentillesse de ces gardes, qui ont dû avoir pitié de moi et m'ont même proposé de me preter leur portable, vu que le mien n'avait quasi plus de batterie...

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  7. Je ne connais pas cet aéroport la mais ça rappelle aussi celui de Bamako:0)
    On n'en mène pas vraiment large dans ces moments la mais quels souvenirs qd même!!!!!

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