4 mars 2014

42 - Les check list

A l'irréalité de la situation se rajoutent des vagues de sueurs froides. En fait, voilà : j'ai monstrueusement peur en avion. Je sais, ça fait ringard de nos jours, mais bon, je ne suis pas la seule, et parmi les plus connus, je crois savoir que Souchon, Cabrel, Cher ou Aretha Franklin ne s'y sentent pas très à leur aise non plus.

Ca ne m'apaise pas, mais je me sens moins bête.

C'est
la première fois que je le reprends depuis dix ans. Bon, j'ai une motivation exceptionnelle, et du coup, l'angoisse est reléguée un peu à l'arrière, mais par moment, la panique me submerge et me donne envie de partir en courant dans tous les sens.

Douze heure de vol. Je les ferai, parce que je vais chercher mon enfant ! Parce que je ferais n'importe quoi pour aller la chercher.
Mais j'ai peur ! Alors là, qu'est ce que j'ai peur !

A ce propos, d'ailleurs, vu qu'Haïti n'est pas ce qu'on peut appeler une destination touristique à la mode, les billets, ça te coûte un bras ! Mais on découvre qu'il existe des billets adoptants. Oui. Un truc que l'on peut annuler sans frais plusieurs fois (contrairement au Ministre de l'éducation nationale, les compagnies aériennes connaissent bien les aléas des procédures d'adoption).

Je cherche donc LA compagnie qui pourra me trouver un départ dans une semaine, deux places à l'aller et trois (ouaiiis!) au retour, qui soit une compagnie très sérieuse et qui n'a pas trop d'accidents (voire pas !), qui pratique le billet adoptant, qui ne t'assomme pas trop avec le prix, et qui n'arrive pas trop tard à Port-au-Prince (parce que l'orphelinat nous a prévenus : personne ne viendra nous chercher à l'aéroport de Toussaint Louverture si on arrive après 18 heures. Pour l'instant, je ne sais pas pourquoi. Je vais bientôt comprendre), pour un séjour d'une semaine sur place, avec la possibilité de repousser le retour au cas où il manquerait un document au dossier d'adoption (parce qu'on a quelques démarches à faire sur place, tout de même).

Bref, un cahier de charges tout simple.

Mais on y croit, et on finit par trouver celle qui réunit la presque totalité de nos exigences : Air France.
La situation étant un peu complexe, on ne peut réserver sur le net, et il faut se déplacer à leur agence, à trente kilomètres de chez nous.
Et comme quand on aime, on ne compte pas, j'y vais trois fois !
La première fois, après avoir passé une heure et demi avec l'hôtesse pour trouver un vol qui corresponde, je dois repartir sans mes billets car j'ai oublié mon agrément, indispensable si je veux bénéficier du billet adoptant.

La deuxième fois, après avoir passé une heure et demi avec l'hôtesse à refaire entièrement la recherche parce que les places que nous avions réservées la veille ne sont plus réservées puisqu'on n'a pas pu finaliser la vente, je m'aperçois que j'ai oublié mon chéquier.
Et impossible de garder une option sur la réservation.
J'en peux plus.

La troisième fois, après avoir passé une heure sur l'ordinateur de l'agence parce qu'aucune hôtesses n'est disponible, mais que ouf ! Tout va bien, les réservations de la veille sont encore libres, je fais une mauvaise manip, et réserve deux fois les places. Je me retrouve avec un récapitulatif m'indiquant deux dossiers et six billets au lieu de trois (sans compter la somme astronomique qui va être incessamment débitée de mon compte bancaire). En proie à de grosses suées, je tente d'annuler, mais c'est impossible ! Mortifiée, j'appelle timidement une hôtesse. Toutes me lancent un regard noir, l'agence est bondée, faut attendre mon tour. Je refais donc la queue...
Une heure et demi plus tard, l'hôtesse a tout annulé et tout refait.
J'ai mes trois billets !
Ainsi que le sentiment qu'on va être blacklistés, à Air France.

Une semaine pour tout régler dans l'urgence : les billets (je préfère ne plus en parler), ma classe (monsieur le Ministre a oublié de penser à donner deux/trois jours aux adoptants pour préparer leur départ) et surtout, les valises.


Déjà, en temps ordinaire, je n'aime pas faire mes bagages, mais alors là, c'est le pompon.


Nos affaires : climat tropical. Faut du léger. En même temps, on arrive dans la saison des cyclones. Faut du vêtement de pluie. Et il y a les moustiques. Faut du manche longue.
Les affaires de Flore : Je ne sais pas sa taille. Faut un panel. Les petits ont souvent des diarrhées. Faut calculer : 7 jours x 5 par jour + les nuits + les accidents + l'avion = environ 50 couches = une valise ! Elle ne marche pas encore très bien. Faut une poussette-canne.
Les divers : Nous récoltons une malle pleine de jouets et de vêtements pour l'orphelinat. Une autre avec des vêtements et des cadeaux pour les nounous, pour Dixie et sa famille, pour les enfants des copines qui n'ont pas encore la chance d'avoir leur procédure aboutie.
Une amie pédiatre nous donne un paquet d'antibiotiques ; on fait le plein de smecta, un des remèdes les plus utiles dans les orphelinats tropicaux ; des mamans nous donnent des sirops, des anti-douleur, des anti-vomito... On se retrouve avec une véritable officine de pharmacien concentrée dans une grosse malle.
J'investis dans les insecticides. Je vous arrête tout de suite : si, je suis écolo ! Et jamais je n'utilise, ici, autre chose que de la citronnelle contre les moustiques. Mais là-bas, il y a le palu, la dengue et les tarentules. J'assume le Baygon ! On a tous nos contradictions !

Sur notre pèse-personne, on a la douleur de constater qu'on a l'équivalent de deux ou trois hippopotames en poids de bagage.


A Air France, déjà qu'on est fiché... L'effarant surplus avec lequel ils vont nous voir embarquer ne va pas les inciter à nous voir sous un meilleur jour.


A la maison, on ne dort plus. On ressasse. On refait les bagages. Julien me parle toutes les cinq minutes de faire des check point pour voir si on est OK. Comme on n'est jamais OK, on se
dispute, on refait une valise, on rajoute ou retire quelque chose, et on refait un check point.
Il m'énerve, avec ses check point !

Et puis, au milieu du marasme, arrive enfin le lundi soir, veille de notre départ. Je dis « au revoir » à mes élèves. A ma sœur.
Nous décollons le lendemain midi.
Le mardi matin, je me lève, comme une automate, sans avoir dormi. J'entends vaguement Julien qui se fait tout seul un ultime check point.

Mes parents nous
accompagnent à l'aéroport. J'ai une boîte de Lexomil dans mon sac, la peur de l'avion me rend muette.
Arrivés à Orly, je
vais faire pipi toutes les cinq minutes, je me dispute pour tout et rien avec Julien (qui fait preuve d'une patience d'ange), j'embrasse cinquante fois mes parents, le surplus de bagage passe, finalement, sans trop de problèmes, et à treize heures, sanglée à fond dans le fauteuil de mon boeing, un album photo dans les mains avec l'image d'une toute petite poupette qui me regarde de ses grands yeux noirs, je décolle vers le plus grand bonheur de ma vie...

10 commentaires:

  1. Tu n'as pas honte? tu coupes une histoire ultra prenante!!! La SUIIIITE!!!!

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  2. A ton avis, ma Chou, combien je mets de temps pour écrire UN épisode ? ;-)
    Et puis ça te fait du bien... La patience est une vertu ! :-D

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  3. cela devait être surtout un cyclone de sentiments dans ton cœur et dans ta tête, ainsi que dans celle de Julien.... j'attends avec impatience la suite...

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    1. Oui, Véro, une vraie tempête sous mon crâne... ;-)

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  4. Autre possibilité: le téléphone sonne à 5.30 et on t'annonce l'arrivée de ton fils le jour même... bonjour les prépatatifs, la chambre, vêtements etc... :-D à 18.00 il était dans mes bras et à minuit on était de retour au pays.. une journée surréaliste je l'avoue.. mais il était là, sain et sauf!
    Sonja

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  5. euh So je ne vois pas l'épisode du dimanche où t'es passé chez Val le dimanche la veille du départ… et où d'ailleurs j'ai appris que mon dossier était sorti de l'Ibesr et que personne ne m'avait prévenu :-)))
    bises bibi

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    1. Ah ouais !!! T'as raison, Bibi, j'avais zappé !
      Je pense que je ferai un flash back, parce que je me suis rendu compte que j'avais oublié autre chose aussi...
      Je note presque tout, mais là, c'était tellement le stress que je n'ai pas pu tout noter...
      Bises

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  6. Tout ça me parle, sauf la peur de l'avion qui me fait absolument ni chaud ni froid.
    Combien de fois, j'ai pesé les valises..... ouvert, refait, défait, rajouter, enlever, recommencer......

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  7. ca me parle bien tout ca, sauf que moi j'etais d'un zen absolu, dès l'annonce du feu vert... comme si j'etais dédoublée et que je me regardais vivre...ca m'a duré qq mois, jusqu'a bien apres le retour. Drole d'impression, mais du zen, tout le temps, la certitude d'etre au bon endroit au bon moment, d'etre a ma place, et aussi la certitude qu'elle, elle etait aussi au bon endroit, ds mes bras...
    du coup, les valises, le voyage, tout ca, pfffff...comme ds un reve ! :o))
    des bises et on attend la suite !
    Sylvie, bientot le 5eme anniversaire de rencontre !

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