40 - Les petites phrases assassines (1)

C'est sûr qu'avec les méandres de la procédure, il y a de quoi se faire du mouron.
Je ne vais pas écrire cinquante épisode sur ça, mais je suis sûre que ce serait possible.

Je vais vous épargner, une petite liste fera bien l'affaire :

- Ca commence par l'affaire Stanley (les dossiers ont stagné trois mois)
- Ca continue avec les tergiversations de monsieur Roussel, qui un jour exige dix ans de mariage, le lendemain cinq feront l'affaire, puis une vie commune attestée sera suffisante, mais tout de même il faudrait bien respecter la loi alors c'est dix ans c'est tout (pendant ce temps, les dossiers stagnent)
- A l'IBESR, il ne faut pas moins de quatre signatures.
- Monsieur Roussel, le dernier à signer, part en vacances quinze jours par mois (pendant ce temps, il ne signe pas les dossiers)
- Julien et moi, deux ans de mariage, on fait faire par des tas de gens des tas d'attestations sur l'honneur qu'on vit depuis plus de dix ans ensemble,
- Finalement, monsieur Roussel accepte toutes les possibilités, et... il signe notre autorisation d'adopter.
- On vide une bouteille de gin (avec du tonic, pour diluer), mais ce n'est pas terminé pour autant : Au tribunal, maintenant.

Et pour se changer les idées, on sort, on voit du monde, bref on essaie de penser à autre chose.
Et ça marche tout à fait bien.

Par exemple, un dîner entre amis. L'un demande des nouvelles des démarches. Tu expliques patiemment, pour la centième fois, où ça en est, mais que tout va vite s'arranger, parce que tu ne veux pas plomber la soirée. Tu aurais préféré parler d'autres choses, mais c'est légitime que les amis s'inquiètent et veuillent comprendre.

Il y a ceux qui compatissent devant nos gros cernes noirs sous les yeux, et puis les autres.
Une amie, par exemple. Probablement éméchée (in vino veritas).
Un peu aigrie surtout.
- Ouiii, c'est bien, ça, d'aider les enfants. Moi aussi, je suis investie dans l'humanitaire, mais je parraine, moi, je n'adopte pas. Les pauvres gosses. Faudrait pas en plus les déraciner.

A mon avis, c'est la bêtise humaine qu'on n'arrivera jamais à déraciner.
Je peux concevoir le point de vue, mais franchement, est-ce le bon moment pour nous asséner ce genre de lieu commun.

Ou encore :

- Rhôôô ! Moi, j'aurais pas pu adopter : Ca se passe rarement bien, et à l'adolescence, ils te rejettent (si jamais ils t'ont accepté avant) et te crachent à la g...... J'ai même entendu un témoignage d'enfant qui avait volé tout l'argent de ses parents adoptifs pour le donner à ses parents biologiques.
Celui-là, c'est sûrement celui qui a fait le scénario du film super 8 qu'on nous avait montré à la DDASS en phase de pré-agrément.

Et la palme d'or du florilège :
- Vous avez fait d'autres demandes à part Haïti ?
- Oui, le Vietnam et l'Afrique.
- Pas la France ?
- Non, c'était trop long.
- Ah... (de déception) Dommage ! Un petit français, ç'aurait été quand même mieux. Et le Vietnam, ça n'a pas marché ? Parce qu'il paraît que les asiatiques, ils s'adaptent mieux que les noirs.

Blanc (c'est le cas de le dire)...

Remarque réitérée à plusieurs reprises.
Véridique.

Flore, ma poulette, tu vas arriver dans un monde de brutes ignares régi par les clichés, la bêtise et la méchanceté !

Mais promis, si tu ne me craches pas à la g..... dès ton arrivée, on les combattra ensemble !