29 avr. 2014

68 - papapapapapa, cacacacacaca (ou tout se recycle)

Les courses avec Flore sont aussi des moments forts. Notamment ce jour, où, assise dans le caddie, elle attrape la boîte d'un tube de concentré de tomates, le retourne sous toutes ses coutures, me montre le petit bonhomme dessiné dessus en me disant :
- papapapapapa ?
- Non, ma chérie, papa n'a pas posé pour les tubes de sauces Buitoni, en tout cas pas à ma connaissance.
Mais ma petite mère reprend amoureusement la boîte, et se met à lui faire des câlins et des bisous.
Bon.

A la caisse, voyant qu'elle a un public de personnes amusées de regarder cette petite fille entichée d'un tube de sauce tomates, elle se met, comme elle sait si bien le faire, à babiller non-stop papapapapapa, montrant à tous le bonhomme de la boîte en expliquant :
- Là ! Papapapapapa !
La caissière me regarde avec respect : il y a deux vedettes dans le magasin, la femme et la fille du monsieur du tube de concentré de tomates.

Dans la voiture, après avoir perdu deux litres de sueur à essayer d'attacher Flore à son scrogneugneu de siège bébé, je suis obligée de lui laisser sa boite qu'elle embrasse à bouche-que-veux-tu, me disant que j'ai la seule petite fille au monde à avoir comme doudou une boite de concentré de tomates.
J'imagine à la maternelle, quand Flore sera en petite-section, la maîtresse dire :
- Flore, c'est l'heure des mamans, n'oublie pas ton doudou-Buitoni !

Quoi qu'il en soit, cette petite est parfaite : elle a compris que sa mère avait la fibre écologique et le prouve : Tout, chez nous, se recycle, même les tubes de concentré de tomates.
D'ailleurs, il n'y a pas que les boîtes de Buitoni qui retrouvent une deuxième vie, dans la maison.

Comme nous allons souvent en forêt Flore et moi, je lui montre un peu tout ce que je sais. Ce jour-là, c'est la leçon sur le scarabée bousier. Un spécimen magnifique rescapé des grands froids roule son petit morceau de crottin pour y pondre ses œufs (chouette, les moeurs des scarabées).
Flore est fascinée un certain temps par la manœuvre (« Ouh ! »), puis, lassée rapidement comme tous les enfants de son âge, repart vers de nouvelles aventures en marchant dans le crottin, à deux orteils du scarabée qui échappe de justesse à l'écrabouillement !

Ma fille, qui ne parle toujours pas (c'est bizarre, je suis limite inquiète avec ça... Mais j'en reparlerai), bafouille un cacacacacaca en regardant ses chaussures anti-dérapantes pourvues de semelles épaisses à nervures profondes s'imprimer dans la crotte (qui c'est qui va passer deux heures avec un coton-tige à décrotter les semelles...)

Dans la foulée, je l'emmène chez des copains qui ont une ferme et font du fromage de chèvre. On visite la chèvrerie, les chèvres, les chevreaux. Là, c'est l'euphorie, comme le prouve la multitude de « Ouh » !
Je laisse Flore quelques instants à ses étonnements caprins pour discuter un peu avec mes amis, et quand je me retourne, je la découvre jouant aux billes avec les crottes de biques ! 
Mais pourquoi je me casse la tête à lui acheter des jouets alors que des crottes ou des bouses suffisent à son bonheur !

D'ailleurs, on y trouve aussi d'autres usages, à ces matières-là.
Une autre fois, Flore qui jouait sans bruit depuis quelques instants (j'aurais dû me méfier), vient vers moi en se léchant les babines, et se passant la main sur le ventre, fait « Mmmmmmmmmm » !
Aïe !
- Montre-moi, mon poussin, montre ce que tu as mangé !
Et elle, toute contente, de se dandiner jusqu'aux baskets de Julien, dont elle - qui a bien assimilé l'épisode du scarabée - a raclé la semelle avec ses doigts et se régale d'une crotte écrasée!
(Julien, c'était dans une crotte de chien qu'il avait marché la veille. Oui, je sais, je ne suis pas gâtée)

Voilà. Nous, dans notre famille-écolo, rien ne se perd, rien ne se crée. On a des doudous-en-carton, et on utilise la crotte pour jouer ou manger. C'est économique, recyclable, et on en trouve partout.

Finalement, on n'est pas si éloigné que cela des mœurs des scarabées !


28 avr. 2014

67 - Le concert du presbytère

Un samedi après une séance de bébés nageurs, je file au presbytère du village d'à côté pour inscrire Flore à son baptême.
Tout comme pour notre mariage, Julien et moi voyons plus dans cette cérémonie un rite traditionnel d'accueil qu'un passage religieux. Surtout moi, qui suis athée. Mais pas Julien ni plusieurs personnes de la famille. 
Allez, qu'on s'est dit, on va le faire, ne serait-ce que pour nous donner l'occasion d'une belle fête familiale.

Nous voilà donc toutes les deux, Flore et moi, en fin de matinée, dans la salle d'attente du presbytère, lieu calme, serein, frais, sentant un peu la vieille maison humide.
Cette fois-ci, c'est moi qui me suis baignée avec Flore à la piscine, et j'ai les cheveux mouillés, les yeux explosés et la peau qui tire.
Ma petite
nénette, toujours complètement vidée après les trois-quarts d'heures de piscine, est un peu somnolente.

Le monsieur qui monte les dossiers nous reçoit dans un bureau, et commence d'une voix docte à nous poser des questions et à nous faire par le menu la lecture de livrets chrétiens explicatifs sur ce qu'est le baptême, sur les étapes de la préparation et sur le déroulement complet de la cérémonie.

Il se trouve que moi, je sais déjà tout ça, et que Flore, à deux ans, n'est pas en âge de comprendre l'exposé. Mais je prends mon air de bonne élève, polie et appliquée, et engage ma fille, assise sur mes genoux, à bien écouter le monsieur qui parle lentement, croisant les doigts pour qu'elle ne s'endorme pas d'un coup, Ping! la tête sur le bureau.

Et le ciel est avec moi ! Elle ne s'endort pas.
Mais alors, pas du tout.
Même que l'endroit doit l'inspirer, car elle se réveille et tout de go, entame une litanie qu'elle a entendue je ne sais où : "toutouyoutou, toutouyoutou" (le tube des années 80 de Véronique et Davina qu'ils ont ressorti pour la publicité des renseignements téléphoniques : 118... 218...). 

Bon. Au début, elle fredonne, c'est amusant. Entre deux avé, je lui demande d'arrêter, mais elle ne semble pas décidée.
Même qu'elle monte un peu le son.
« Toutouyoutou ! Toutouyoutou ! »
Un peu décontenancée, je n'ose pas trop la gronder devant le gentil monsieur calme, de peur de déclencher une guerre de religion, et lui et moi nous mettons aussi à hausser la voix dans l'espoir de recouvrir les toutouyoutous crescendos de Flore.

Ca devient surréaliste, il me parle Jésus et Jean-Baptiste en braillant tandis que je m'égosille à lui expliquer que nous avons déjà choisi le parrain et la marraine.

Et Flore continue à grimper dans les décibels.

En proie au désespoir, je jette un regard implorant au diacre : Peut-être que Dieu pourrait faire quelque chose pour nous ? Puis je me ressaisis : la mère responsable que je suis reprend le dessus, et sans même y penser, je me penche vers ma fille et lui hurle :
- TAIS-TOAAAAAAAAA !

On peut noter le sang froid dont je suis capable dans ce genre de situation.
Oui, sauf que de surprise (elle ne devait pas s'y attendre à ce moment là), Flore est stoppée net à la fin d'un touyou.
Regardant abasourdie la folle aux cheveux mouillés en vrac sur la tête, les yeux rouges exorbités, la bouche distordue, brailler comme un putois.

D
u coup, avec un dernier regard inquiet pour vérifier que je suis bien redevenue sa mère post-beuglement, elle s'appuie contre moi, met ses doigts dans la bouche et s'endort illico.
Je reprends mon visage (presque) normal, et jette un œil au monsieur. Visiblement, je lui ai fait très peur à lui aussi, et il serre ses livrets religieux contre son cœur.
Je tente un sourire. Il n'est pas dupe : Dieu lui a envoyé une épreuve.

Il me tend les livrets, les questionnaires, les fiches de préparation.
- Vous les lirez tranquillement chez vous, et nous re-déposerez le questionnaire dans la boîte aux lettres du presbytère, d'accord ? Comme ça, pas besoin de nous revoir.
Oui, ça vaut mieux.

Je me lève, ma fille endormie calée sur ma hanche, et sort dignement dans un grand silence, avec la sérénité qui sied à ce genre d'endroit méditatif...

Sauf que dans ma tête, tourne en boucle un psaume bien moins chrétien : « Toutouyoutou ! Toutouyoutou ! Tou, tou, tou, tou, toutoutou youtou ! »

25 avr. 2014

66 - Les bébés nageurs

Et le temps passe comme ça...

Nous faisons refaire toutes les analyses à Flore.
Elle a un dossier médical monté par l'orphelinat, avec les prises de sang, le suivi psychologique et les vaccins, mais il nous semble préférable de confirmer.
D'autant qu'elle avait une grosse anémie, dûe aux carences nutritionnelles avant d'arriver à l'orphelinat.
Et puis nous voulons vérifier les pathologies lourdes, comme le VIH,  la syphillis ou l'hépatite B.

Pour la sérologie, tout va bien, mais elle est toujours anémiée, ses globules rouges sont plus petits que la normale, l'hématocrite en dessous de la norme, son taux de ferritine réduit à peau de chagrin. On suspecte donc une maladie génétique comme la thalassémie ou la drépanocytose.
En attendant les examens complémentaires, le médecin nous déconseille de la mettre aux bébés nageurs tout de suite, car avec des taux si bas de globules, elle va avoir du mal à maintenir sa température à un bon niveau et risque d'avoir très froid dans l'eau.
Pourtant, moi qui suis une nageuse, ça me tient à cœur. Mais ce n'est que partie remise, et nous entamons un gros traitement contre l'anémie.

Au bout de deux mois, les globules rouges ayant repris leur taille normale, le manque de fer persiste (c'est long à rééquilibrer), mais rien n'indique que Flore souffre de drépanocytose ou de thalassémie. Elle reste encore un peu anémiée, et on continue le traitement.

On peut enfin l'inscrire aux bébés nageurs. 

 
C'est Julien qui s'y colle pour aller dans l'eau, chauffée à bloc, de la piscine du village voisin.

D'abord, il faut trouver des couches adaptées, et un maillot de bain trois tailles au-dessus de la norme, afin que la couche tienne dedans. C'est amusant de voir tous ces enfants avec des fesses énormes – surtout quand la couche est mouillée – se dandiner vers le bassin.
Flore nous surprend en montrant un certain sens aquatique, principalement quand elle saute dans l'eau sans qu'on ait eu le temps de l'y inviter. En fait, c'est là que nous nous apercevons que notre gamine de presque deux ans n'a aucun sens du danger, et peur de rien.
Moi, ça m'éclate, Julien, ça le rend malade. Surtout que c'est lui qui est dans l'eau, et je le vois hyper-concentré pour ne jamais la perdre de vue, ramer avec les bras pour l'attraper quand elle coule en se marrant (gloub, hihi, gloub, Ouh !), jouer des coudes pour éviter les collisions avec les autres enfants, tenir fermement les jeux dans l'eau quand elle essaie de passer dessous...

Pendant ce temps, je mitraille à l'appareil photo, gaga devant ma championne du monde.
Au fil des séances, Flore progresse bien, même si elle fait encore l'inquiétude de Julien et que les maîtres nageurs la surveillent d'assez près depuis qu'elle a voulu aller toucher le carrelage du fond du grand bain.

Le petit bassin est rempli de jeux et de jouets, de deux toboggans qui ne désemplissent pas, de cabanes en plastiques à explorer, de ballons, de cerceaux, et surtout d'un beau et long tapis bleu qui permet de marcher sur l'eau jusqu'au milieu du bassin où là, youp ! On fait une petite galipette avant d'atterrir dans l'eau. Flore aime particulièrement cette dernière activité, et je décide de faire un film commenté, en appelant fréquemment ma fille pour qu'elle regarde l'objectif...

Avant de poursuivre mon histoire, il faut que j'explique quelque chose concernant la photo des enfants à la peau marron : Ca bouscule tous les réglages qu'on a l'habitude de faire, surtout quand les autres personnes à côté sont blanches. Julien – dont c'est pourtant le métier – a mis un certain temps à parfaire les photos où Flore et moi sommes ensemble. Parce que si on éclaircit trop pour bien voir les traits de ma fille, j'ai l'air d'un fromage blanc (si cher à Doc Bonobo), et si on fonce un peu pour mieux me distinguer, Flore a l'air maquillée au charbon.
C'est pas simple.

Après des tonnes de réglages, donc, je me lance dans mon film, me penche, fais des effets de travelling, m'approche lentement, interpelle Flore, refais un petit réglage, m'approche encore, quand je sens le sol du bord de la piscine un peu plus mouvant que d'ordinaire. Et même, il s'enfonce un peu, et encore un peu, lentement, inexorablement. M'inquiétant de cette sensation anormale, je sors mon œil de l'objectif pour m'apercevoir que je suis sur le grand tapis bleu, en train de couler...
En jean.
Si.

Chaque jour apporte à notre enfant des raisons sérieuses de se questionner sur la famille qui l'a adoptée !
Cela dit, au moins, elle ne s'ennuie pas, avec nous.


24 avr. 2014

65 - Une mère modèle

Moi qui ai toujours été organisée comme une savate et ai une vision très approximative de l'heure, je me retrouve sans y penser à respecter les horaires qui touchent Flore : je cadre son emploi du temps, et elle mange et dort à heure fixe, ce qui m'aurait paru infaisable quelque semaines plus tôt.

Sorti de ça, pour le reste, je garde mes bonnes vieilles habitudes de bohème (pour ne pas dire bordélique, mais ça revient au même).
Ce qui fait qu'au début, je me retrouve à patauger dans un quotidien liberticide.

Il faut donc que je m'organise.
Alors je me lance un défi : celui de devenir une mère modèle.


Ca commence dès le matin :
Je réveille ma fille en douceur en lui mettant une musique qu'elle aime et lui propose son petit déjeuner que j'ai déjà mis une demi-heure à préparer. Bien sûr, pour ne pas la laisser seule, parce que la convivialité c'est important, je petit-déjeune avec elle (alors que je crève la dalle depuis une heure !).
Puis, nous faisons un petit jeu ensemble, puzzle, gommettes, loto (alors que je n'ai qu'une envie, c'est de retourner dans mon lit avec un café et un bon bouquin !), puis, pendant qu'elle a la chance, elle, d'aller jouer dans sa chambre, je lave la vaisselle, l'essuie, la range, lave la table, ramasse les innombrables miettes par terre, voire un peu partout dans la pièce, récure le siège-bébé des coulures de bouillie qui se sont faufilées dans les interstices, et commence à préparer le repas de midi, parce que, tout de même, je suis en congé, alors je fais des légumes du marché ou du potager de mon papa, dont le temps à retirer la terre est très légèrement supérieur à celui d'ouvrir une boîte de conserve.

Bref, je prépare tout ça, puis je vais, le plus diplomatiquement possible, déranger Flore qui regarde attentivement un livre (elle a de la chance : moi, c'est pas près de m'arriver à nouveau), lui apprendre à s'habiller. Au passage, moi, je suis toujours dans mon espèce de tee-shirt-chemise de nuit immonde qui pendouille sur mes pattes poilues que je n'ai pas encore trouvé le temps d'épiler, aussi sexy qu'une courgette.

J'installe ma poulette sur le tapis de la salle de bain avec quelques jouets, et saute dans ma douche sans fermer le rideau pour l'avoir à l'oeil. Ce qui me permet d'arroser un peu les murs de la salle de bain.
Hop, à peine séchée, le cheveu humide, nous partons illico en forêt nous balader après avoir éteint les haricots de ce midi et rincé le concombre qui a suffisamment dégorgé.

En forêt, tranquille, on regarde les arbres, on guette les animaux, sous les étonnements joyeux de ma nénette qui alterne ses petits « ouh ! » habituels avec des exclamations sauvages et chargées en décibels...
Si jamais il y a encore une bête vivante (et pas sourde) dans cette forêt, elle ne doit pas être à moins de trois kilomètres.

Bon, et puis, il y les flaques, la boue, où Flore patauge joyeusement, même quand elle n'a pas de bottes, et comme elle saute dedans, elle s'en met partout, et je songe déjà qu'il va falloir la changer en rentrant et rajouter à la pile de lessive... Mais bon, ce sont les joies de la nature... D'autant plus agréable qu'au bout d'un moment Flore est fatiguée et me demande de la prendre sur mes épaules (parce que j'ai oublié la poussette)... pas de problèmes, je suis une mère modèle, je la porte malgré mes récentes névralgies cervico-bracchiales et, comme un bonheur ne vient jamais seul, elle partage la gadoue de ses chaussures et du bas de son pantalon avec ma chemise.

La promenade se terminant, je suis à la limite de la paracentèse car, sur mes épaules, Flore est plus près de mes oreilles, et quand elle appelle les champignons / sangliers / tronc d'arbres / feuilles..., ça me passe direct par la case tympan !

En voiture, bien sûr, elle ne manque pas d'étaler la gadoue sur le siège auto (pas grave, je le laverai aussi), et nous rentrons à la maison où je lui mets un petit dessin animé en vidéo (choisi avec soin) afin de pouvoir tranquillement finir de préparer mon repas. Flore, sur le canapé, se tord de rire quand le gentil lapin dit « Pif ! Paf » au gentil ours !
Ah tiens, j'ai oublié de la changer, elle a mis de la terre partout. Ce n'est pas grave, le sol avait besoin d'un bon coup d'aspirateur, et j'en profiterai pour gratter la gadoue écrabouillée sur le canapé.

On se met à table, toutes les deux (toujours la convivialité), même si en fait, je passe mon temps à me relever et me rasseoir : Malgré mon esprit prévoyant, il manque toujours un truc. A commencer par un rouleau d'essuie-tout, parce que, comme je viens – enfin - de la changer, malgré sa serviette gargantuesque, elle a réussi à laisser couler la crème du concombre sur le tee shirt propre.

Mais finalement, c'est sympa, Flore me fait un compte-rendu de sa balade en forêt (Abouda bouda ! Ouh ! Hiii ! ), je n'essaie même pas de lui répondre, parce que quand enfin j'arrive à me poser, c'est pour manger (froid), et que parler la bouche pleine, ça, une mère modèle ne le fait pas.

Après le repas, je vois se profiler l'heure de la sieste avec bonheur, mais j'ai encore quelques épreuves à subir avant : Flore se lève et retourne jouer un peu avant de se coucher. Pendant ce temps, je débarrasse, lave la vaisselle, l'essuie, la range, lave la table, balaie par terre, regroupe les petits pois éparpillés (tiens, un peu de bouillie de ce matin) cours ramasser Flore qui s'est cassé la figure du canapé, essaie de terminer mon fruit, m'en mets partout dans la manche (c'est pas grave, je n'ai pas encore eu le temps de changer ma chemise qui est, de toute façon, maculée de gadoue), vais changer Flore, pleine d'espoir : Dans dix minutes, elle sera partie pour deux heures de sieste.

Je la couche. Elle pigne, elle râle, re-pigne, fait la bouche carrée, déclenche la sirène, secoue son lit et là, je mets quelques instant un rideau sur mon film parfait et bing, elle se prend un remontage-de-bretelle-comme-ça-tu-pleures-pour-quelque-chose. Je la recouche donc dans d'horribles hurlements (forcément, si moi je lui crie dessus, ça va pas la calmer ! )
Je n'ai qu'une envie, c'est de la scotcher au mur, mais je suis une mère modèle...
Et là sans prévenir, elle s'endort d'un coup d'un seul.
Je sors de sa chambre sur la pointe des pieds :
- Bonne sieste ma poulette, dors bien (et longtemps, surtout !)...

Maintenant, je vais pouvoir me poser. Ouf ! Avant, ça, j'ai juste quelques petits trucs à régler : changer de chemise, brosser le canapé, balayer la terre de la salle, trier le linge, faire une lessive, laver la salle de bain, frotter les chaussures terreuses, nettoyer le siège auto, étendre le linge, faire mon lit, m'épiler les jambes, lancer une deuxième machine, et quand enfin j'attrape mon bouquin, parvient à mes oreilles le si caractéristique petit « ouh ! » qui me signifie que Flore a repris pied dans ce chouette petit quotidien bien peinard.

23 avr. 2014

64 - Les petites phrases assassines

Une tante éloignée nous appelle pour nous féliciter.
Julien lui parle en premier, puis me passe l'appareil.
- Bonjour Marie.
- Bonjour, comment vas-tu ?
- Le voyage s'est bien passé ?
- Oui, cela a été une expérience inou...
- Et le grand bonheur qui risque de vous arriver, tu sais quoi ? Souvent, les femmes qui adoptent, sans que l'on sache pourquoi, tombent enceinte tout de suite après ! Quel grand bonheur ce serait pour vous si cela arrivait.
- …
- Allez, garde confiance, tout n'est pas perdu.

Pas un mot sur Flore.

Nous voilà entrés de plain pied dans le monde des parents adoptants, avec sa longue série de maladresses, d'ignorances et... de méchancetés.

63 - L'ascabiol

Voilà que quelques semaines après notre retour d'Haïti, je me paye une grattouille terrible sous la poitrine.
Flore, de son côté, a des petits boutons entre les doigts, et je soupçonne qu'elle et moi ayons rapporté la gale.

L'idée de petites bêtes qui se construisent des galeries sous notre peau me rend presque dingue, et je prends rendez-vous dans la foulée avec un dermatologue proche de chez moi.
Il m'ausculte, puis ma fille, pour me dire que selon lui, ce n'est pas la gale : une allergie pour moi, et pour Flore, des problèmes de peau fréquents sur « la race noire » .
Je ne suis pas sûre d'avoir correctement entendu. Il ne me semblait pas qu'il existait des races chez l'espèce humaine, mais je n'ose pas le lui dire, tellement abasourdie par ce que je viens d'entendre.
Il nous prescrit chacune une pommade, continuant dans la foulée, en regardant dédaigneusement les mains de ma fille, par « chez les humains, par contre, la gale se manifeste par... » Je n'écoute pas la suite, me demandant s'il classe bien ma fille dans la catégorie des êtres humains.
Je n'en suis pas sûre.

Estomaquée, je paye (et pas en monnaie de singe) et m'enfuis vite de cet endroit nauséabond.
Je dois le revoir après quinze jours de traitement : Il peut toujours attendre !

Avec ce premier contact avec le racisme ordinaire (quoi que pas si ordinaire que ça...), je me mets à réfléchir à cent à l'heure, dans la voiture qui nous ramène à la maison. Je ne pensais pas y être confrontée si vite. En fait, je ne pensais pas y être jamais confrontée. C'est tellement hors de ma considération que cela m'en rend naïve. Bon, eh bien voilà, mon innocence a été violée d'un coup d'un seul, et ça me déchire les tripes.
Mais autant me préparer, maintenant que l'hymen est percé.

Je regarde Flore, et suis mortifiée de ce qu'elle va avoir à vivre un jour concernant sa couleur de peau.
Au-delà de me préparer, moi, à parer / contrer / répondre à / éviter... ces attaques (je ne sais pas encore ce qui est le mieux), c'est elle que je dois préparer.
Pour l'instant, je me dis qu'il vaut mieux éviter les nuisibles, j'ai tout de même un peu de temps pour affiner ma réflexion avant que Flore ne soit suffisamment socialisée pour y faire face.

En plus, son traitement est inefficace, et nous prenons rendez-vous à Necker en dermatologie infantile.
Necker. 
Grand hôpital. 
Grand moment, aussi.

Pour commencer, il n'y a pas de places pour nous garer.
Puis, nous ne trouvons pas l'accueil, passage obligé pour récupérer les étiquettes d'identification.
Puis nous flippons à l'écoute des explications pour accéder au pavillon de dermatologie infantile, surtout quand la préposée nous assène qu'il faut faire très attention à un endroit, de ne surtout pas prendre le couloir de droite mais celui de gauche et de ne pas nous tromper d'ascenseur.
Puis, évidemment, nous prenons le mauvais couloir (était-ce celui de droite ou de gauche qu'il ne fallait surtout par emprunter ?), et nous nous perdons dans les méandres des couloirs, cours internes, et ascenseurs de cet hôpital tentaculaire.
Comme nous sommes un peu juste niveau temps, nous sommes en panique, et nous courons en nous engueulant, Julien et moi, bringuebalant Flore sous un bras et les sacs, les dossiers, les couches de rechange... sous l'autre.

Nous finissons tout de même par arriver au deuxième étage du service, où une caissière mollassonne enregistre notre présence et nous demande le document d'admission.
Le document d'admission.
Nous n'avons pas le document d'admission.
Comment a-t-on pu oublier le document d'admission.
Il-faut-retourner-le-chercher-à-l'accueil-Madame-sinon-le-médecin-ne-vous-recevra-pas.
Julien démarre en trombe, et d'emblée se trompe de direction. Craignant de ne plus jamais le revoir de ma vie, je le rappelle illico.
Je m'arme de mon sourire le plus persuasif, et explique tout à la dame : le stationnement, l'accueil, les errances désespérantes dans les couloirs, les engueulades... et, face à mes yeux qui se remplissent de larmes, mes joues cramoisies et les gouttes de sueur qui perlent sur mon nez, elle accepte gentiment.
- Allez, vous irez me le chercher après la consultation.
Il sera toujours temps après l'auscultation de trouver une carte IGN des lieux.

Une heure plus tard, le médecin nous reçoit. Nous lui expliquons la situation. Il me demande de lui montrer mes boutons. Mais comme sa lampe-loupe a grillé (pauvre hôpital public), il me propose de me rapprocher de la fenêtre, il y verra mieux à la lumière du jour. Plantée devant les grands carreaux, je soulève mes vêtements, et lui montre mes seins, siège des petits boutons. Sauf qu'au passage, tous les gugusses qui zonent dans la cour deux étages plus bas s'en prennent plein la vue aussi !
Allez, tant pis, de toute façon, je ne les reverrai jamais, et avec un peu de chance, ils mourront perdus dans les couloirs de l'hôpital.

Côté diagnostic, rien n'est sûr. Ca ressemble vaguement à des boutons de gale, tout comme les mains de Flore, mais pour en être certains, il faudrait faire des prélèvements et des analyses longues et complexes.
Autant traiter directement et rapidement, parce que si c'est bien la gale, ça se propage très vite et c'est très contagieux.

Nous emportons donc avec nous l'ordonnance d'un traitement de cheval, longue de trois pages. Jamais vu une telle prescription.
Va falloir être attentifs dans notre lecture et dans son application.

Nous devons être bénis des dieux, car nous retrouvons la sortie de Necker, puis notre voiture avec une facilité presque suspecte.

Le traitement, c'est de l'ascabiol. Liquide insecticide jaunâtre un peu épais avec lequel oindre toute la famille en respectant un protocole alambiqué.

Chacun sait que les femmes sont les plus courageuses, je me lance donc la première, encouragée par Julien qui y va de son « non, non, vas y ma chérie, tu as mieux compris la procédure du traitement que moi.» 
Facile.

Selon le dermatologue de Necker, il est préférable de se faire aider pour s'enduire bien partout. Julien attrape donc le pinceau et la bouteille, tandis que je commence par me récurer au Septivon (le Cif ammoniacal de la dermatologie). Je ne dois pas me sécher, et me faire enduire immédiatement après la douche. Julien passe la première couche de produit en se marrant (il ne perd rien pour attendre).
Il faut insister dans les plis, et les zones peu accessibles ! Mmmm ! Quel pied le passé de pinceau dans les plis du bas des fesses.

U
ne fois ointe, je dois attendre un quart d'heure afin que cela sèche ! Je reste donc comme une pomme toute seule debout dans ma baignoire, avec des démangeaisons de la mort.
Pendant ce temps, ne perdant pas un instant, Julien court à droite et à gauche pour défaire les housses de coussins, la couette, les draps, les couvertures, les rideaux, le tapis, les vêtements, les housses de siège auto, les chaussures, les chaussettes, les douillettes... Tout ce qui peut se laver à plus de 60° part dans les machines à laver de nos familles et amis proches (parce que ça fait un paquet de lessives), le reste se retrouve dans des sacs poubelle remplis d'insecticide (Baygon, le retour).

Au bout d'un quart d'heure où je me suis bien pelée dans ma salle de bain, je peux enfin prendre ma douche, pour me faire enduire une deuxième fois. Même combat qu'à la première couche, sauf qu'avec l'entraînement, ça va plus vite.
Cette fois-ci, on ne rince pas. On reste oint, on sèche au vent, et on se rhabille.
Les démangeaisons s'atténuent un peu, mais c'est franchement désagréable de mettre des vêtements propres sur une peau bardée de lubrifiant anti-sarcopte. 

Au tour de Julien, héhé !
Désinfection au Cif ammoniacal, et vas-y que je te badigeonne le bonhomme avec délectation.
Ca râle, ça râle, d'autant que lui n'a aucun bouton, et qu'il ne voit pas l'intérêt de s'en mettre partout, et surtout... Hum ! Hum !
Là où ça pourrait porter préjudice à sa virilité.
Moi, on m'a dit tous les plis, je fais tous les plis !

Et ça le démange, et ça pue, et c'est pas bientôt fini ?
- Non, mon chéri, ça fait à peine trois minutes !
- Ca y est, ça fait un quart d'heure ?
- Non, mon chéri, à peine quatre minutes !
Ca va être long d'aller jusqu'à quinze !
Soudain, hurlements ! Ca le brûle ! Dans un endroit que la pudeur m'oblige de taire. Sur le coup, je me demande s'il ne va pas se rincer, se rhabiller et aller direct à Necker casser la figure au dermatologue.
Prise de pitié, je lui accorde une réduction de peine et au bout de dix minutes, il se rince et je passe la dernière couche. Il admet que, l'expérience aidant, ça paraît moins toxique la deuxième fois que la première.

C'est très drôle : on est un peu jaunes, on colle, on pue, mais on doit persévérer 24 heures sans se laver si on veut que ça serve à quelque chose.

C'est au tour de Flore. Son traitement est allégé par rapport au nôtre, elle n'a droit qu'à un seul passage de pinceau et le garde moins longtemps. Le souci, c'est qu'il faut lui emmailloter les mains car elle ne doit sous aucun prétexte mettre ses doigts pleins de produit à la bouche. Voilà notre petite nénette fraîchement débarquée d'Haïti qui se retrouve avec des parents qui s'égarent en beuglant dans des couloirs sombres, montrent leurs seins aux fenêtres, se badigeonnent le zizi en jaune, la lavent au pinceau qui pue et lui enferment les mains dans du velcro.
Franchement, ça ferait pas un bon film super 8 que le Conseil Général pourrait passer aux futurs adoptants, ça ?

Bref. Pendant ce temps, les machines tournent à bloc, il y a du linge et des sacs poubelle partout, nous louons un Kärcher pour le sol, nous lessivons tous les endroits qui auraient pu être en contact avec les parasites, nous javellisons les valises et sacs de voyage, il ne nous manque que de nous raser la tête pour ressembler à Monsieur Propre.
Au citron.
Jaune.

Au total, trente-six machines auront désinfecté tout notre linge pendant plusieurs jours, alors que j'apprends par une amie médecin qui elle aussi est revenue des tropiques avec les mêmes grattouillis sous les seins que moi que ce n'était probablement qu'une simple allergie à la sueur.

22 avr. 2014

62 - La lune de miel

Nous entamons notre lune de miel familiale. 

Il est difficile de se défaire du mythe de l'attachement mutuel instantané, et si la rencontre avec Flore a été idyllique, je n'en suis pas moins consciente que tout reste à bâtir.
Beaucoup d'amies qui venaient d'accoucher m'ont dit – avec une pointe de culpabilité - qu'elles n'avaient pas ressenti un amour immédiat pour leur enfant à la naissance de celui-ci.
Moi, j'ai tout de suite éprouvé de l'amour pour Flore. Mais je sais que les sentiments positifs ou négatifs que l'on peut ressentir intensément à l'instant du premier contact, ne garantissent ni le succès, ni l'échec de l'attachement futur.

C'est pourquoi les premiers moments quotidiens avec notre enfant adopté ont leur importance.
Ca commence par faire l'escargot. Drôle de petite expression signifiant se replier en colimaçon sur sa famille, quelques temps, de façon à ce que l'enfant, pour qui l'attachement ne va pas forcément de soi, intègre bien sa cellule familiale de base.
Mais ce n'est pas simple : Qu'il soit biologique ou adopté, l'enchantement de l'arrivée d'un enfant est toujours très fort, et tout le monde a envie de faire la connaissance de Flore, d'apporter un cadeau, une carte de bienvenue. Les visites s'enchaînent, pour notre plus grand plaisir : Nous sommes par ces gestes traditionnels ramenés au rang de parents comme les autres, et ça, ça fait du bien.

Malgré tout, nous parvenons à préserver de longs moments à trois, et Flore semble très vite comprendre qui est qui. A mon avis, d'ailleurs, le processus a commencé en Haïti quand nous sommes allés la chercher.
Maintenant, il s'agit de l'ancrer dans son nouvel environnement.
J'imagine quel bouleversement ce doit être pour elle. Cette période me semble donc essentielle pour la suite de l'aventure.

J'ai dix semaines de congé adoption. C'est chouette, mais aussi bien court, pour un réel travail d'adaptation, si l'on met en balance les douze mois qu'elle vient de passer en orphelinat.
Alors sans tarder, avec application, conscience et amour, j'entame mon travail d'ancrage. Ca ne se dit ni ne se vit comme cela, mais il ne faut pas perdre de vue que dans certaines situations, nous ne sommes pas des parents comme les autres et avons quelques charges supplémentaires à ne pas manquer.

Certains diront que j'intellectualise trop ma relation. Dans mon métier, j'ai parfois rencontré des parents inconséquents, et j'ai vu les dégâts que cela faisait sur l'enfant. Un peu de réflexion et d'analyse ne font pas de mal, si elles n'empêchent pas de garder du naturel et de la spontanéité.
Il ne faut pas se leurrer : l'amour est primordial, mais il ne fait pas tout. Tous les trois, nous avons un monde à construire de toute pièce, et c'est à Julien et à moi d'en asseoir les fondations.

Je fais donc découvrir à Flore ce monde qui est le nôtre. Elle est contemplative et curieuse de tout. Ses premiers étonnements sont pour quelque chose qui me tient moi-même très à cœur : la forêt. Elle ramasse les feuilles et les collectionne au fond de sa poussette qui se transforme très vite en compost. J'adore lui expliquer d'où elles viennent, puis on va voir, toucher, sentir les arbres. Elle met sa bouche en rond, ouvre des billes étonnées, pointe son doigt minuscule vers les troncs et, me regardant, lance un « oh ! » aussi rond que sa bouche et ses yeux, expression de son intérêt suprême.

Chaque découverte est un partage. Le lien se tisse davantage de jour en jour, elle me suit partout des yeux, et même si je ne réalise pas encore tout à fait, même si j'ai encore un peu de mal à atterrir dans la réalité, je suis assaillie de bouffées d'amour et de tendresse, quand je la regarde, quand je l'embrasse, quand elle me sourit, quand elle me montre quelque chose, quand elle dort, quand elle s'éveille...

Et c'est tellement fort que j'ai envie de la serrer contre moi et de ne plus jamais la lâcher...

17 avr. 2014

61 - Super mamannnnnn !


Sans transition, me voilà donc maman d'une enfant de seize mois qui me tombe toute faite dans les bras.
Ca demande de l'adaptation, une bonne dose d'entraînement et de patience.
De l'organisation également.
Et de vitamine C, surtout.

Mais ce qui est bien, c'est qu'on apprend en même temps : Flore, à s'adapter à une nouvelle vie après douze mois en orphelinat, et moi, à devenir mère, concept qui ne me semble pas du tout aller de soi.
Autant l'amour maternel est une chose ancrée que j'ai ressenti à l'instant même où j'ai découvert ma fille (En photo ! Fou, non ?), autant la logistique maternelle ne m'apparaît pas comme une évidence.
Peut-être avons-nous perdu l'instinct, dans cette société complexe et éloignée de la nature ?
Quoi qu'il en soit, je m'applique et surtout fais des essais, mais rien ne peut nous préparer à ça !
Rien.

Pour commencer, je comprends vite qu'il me faut un parc. Oui, je sais, il y a les pour et les contres, mais le pragmatisme passe avant la polémique. Malgré une copine qui me dit qu'elle refuse catégoriquement, car elle a l'impression d'avoir enfermé son fils en prison (Restons raisonnable : a-t-elle déjà visité Fleury-Mérogis ?), je ne sais pas comment faire pour aller aux toilettes tranquillement. Enfin, normalement, je veux dire : déshabiller-pipi-rhabiller en trois secondes, moi, ça me stresse.
Surtout que j'avais l'habitude d'y aller avec une bonne BD...

Alors voilà. Et je peux dire que mon joli petit parc en bois, prêté par une amie, rempli de jouets, de tapis moelleux et de doudous n'a rien d'Alcatraz, et qu'en plus, il me sauve la vie : Je peux continuer à parfaire ma culture BDesque.

Quant aux repas, je mets un certain temps à m'apercevoir qu'il faut investir dans le bavoir plastique, avec récupérateur de morceaux et de bave (beuark !). J'ai lu Dolto qui assure qu'il est bon que les enfants jouent et pataugent dans leur gamelle.
Bon.
Est-ce Dolto qui faisait le ménage et la lessive chez elle après chaque repas ?
Je ne suis pas pédopsychiatre, mais mon bon sens m'amène à constater que oui, c'est rigolo, hihi ! Mais si je suis obligée de me changer moi-même quand il prend à Flore de faire de la batterie dans sa soupe, ce n'est pas forcément rigolo pour tout le monde !
A moins que je n'investisse dans une tenue de cosmonaute lessivable.

Dans l'ordre des choses, après le repas, le caca. Je m'en excuse par avance, mais je vais devoir être gore sur ce chapitre-là.
Parlons d'abord médical : Les enfants qui ont vécu en orphelinat ont souvent des problèmes intestinaux, dûs aux parasites. De plus, quand ils arrivent dans leurs familles adoptives, quel que soit leur âge, l'alimentation change forcément. Sans compter qu'ils ont parfois des intolérances alimentaires, à commencer par le lait.
Donc les selles sont... comment dire... molles.
Au mieux.

Alors d'une part on investit dans le lait sans lactose, le riz et les carottes, mais aussi dans les couches en béton armé, la poubelle à usage unique et couvercle hermétique.
Pourquoi une poubelle spéciale ? Toute personne ayant besoin de faire ses propres expériences pour progresser, nous n'y avions tout d'abord pas pensé, et jetions les couches sales dans la poubelle de la cuisine.
Elle même près de la table où nous mangeons.

Un autre investissement qui a son importance, c'est le papier d'arménie. Sain, peu cher, et puissant désodorisant, surtout.

Comme je tiens tout de même à mes principes écolos, je n'achète pas de lingettes. J'utilise donc, pour les grands nettoyages qui sont nécessaires facilement cinq fois par jour, du coton, du lait, mais avant, je pré-nettoie avec du papier-toilette.
Et puis quelques fois, même, je la mets direct sous la douche, c'est plus simple. Mais finalement pas très écologique non plus !

Bien sûr, nous n'avions pas pensé, Flore étant déjà grande, à avoir une table à langer, et je la changeais sur une malle basse. Quand j'ai dû prévoir en urgence douze séances de rééducation du rachis cervical et lombaire chez le kiné, Julien m'a acheté une table à langer HAUTE.
Ca a changé ma vie.

Sans vraiment de rapport, un autre grand moment quand je m'occupe de Flore, c'est le coiffage. C'est simple, je n'ai pas encore compris où commencaient et finissaient ses cheveux. Elle a tout pleins de petits tournicotons sur la tête, un vrai champ de bataille. Je me demande comment les nounous de l'orphelinat parvenaient aux coiffures élaborées que nous voyions sur les photos. Cela dit, les cheveux étaient tellement tirés que moi, ça m'aurait collé des migraines terribles.
Alors je ne prefère pas. Ce qui m'arrange, en quelque sorte, puisque je n'ai aucune idée de la façon de démêler le problème. Et les cheveux.
Je me crée une technique : j'attrape et rassemble les tournicotons, et je mets un chouchou. Ca nous fait deux petites couettes de part et d'autre. C'est très joli.
Et pas compliqué.
Bon d'accord, il y a quelques tournicotons qui échappent à ma vigilance, mais ça a son charme, aussi, le tournicoton sauvage.

Tant qu'on est dans les soins, je constate que la petite peau marron de ma poulette est très sèche. Alors je la masse avec du beurre de karité : ça sent bon, c'est un agréable moment, ça lui fait une belle peau nourrie et brillante... faut juste que je fasse un peu attention après, quand je la porte toute enduite de gras, qu'elle ne m'échappe pas des mains !

Pour finir et résumer, voilà une petite liste en vrac de choses à prévoir, faire ou acheter pour devenir une mère adoptive accomplie :
  • Des actions chez le marchand de carottes, riz, coings,
  • Un épluche légumes efficace (jamais épluché autant de carottes de ma vie)  et 12 séances chez le kiné pour la tendinite du poignet,
  • Des bodies en pagaille pour les débordements,
  • 12 séances de kiné supplémentaires spécial bas des reins pour cause de laçage de chaussures, attachage de gilet, boutonnage de manteau, scratchage de bonnet, enroulage d'écharpe et enfilage de gants à 75 cm du sol.
  • Poussette-canne ainsi que 12 séances d'étirement et renforcement des bras et des épaules chez le kiné car ces engins ne sont jamais à la bonne hauteur,
  • cote de maille pour l'apprentissage des repas, paire de lunettes contre les doigts dans l'oeil, casque intégral renforcé et protège-dents pour les coups de boule...
J'adore être maman. Je fais mes petites expériences, surmonte tous les jours une nouvelle épreuve, résous à chaque instant un problème... Et contrairement à ce que j'entends parfois chez certaines mères, pas un seul moment je ne regrette le temps où je n'avais pas autant de défis à relever.

Parce que je ne l'ai pas listé, mais ce que j'utilise le plus dans ma nouvelle vie de mère (presque) comme les autres, ce sont les câlins et les baisers...

Enfin... sauf quand je suis chez le kiné...




10 avr. 2014

60 - Les premiers pas en France


Les retrouvailles de Mattéo avec ses parents sont émouvantes. Le petit bonhomme est radieux, serre sa maman dans ses bras. Je suis ébahie de voir que le lien qui s'est créé en quelques jours, un mois plus tôt, est resté tellement fort chez un enfant si jeune.

Flore découvre ses grands-parents. Je me surprends à être fière quand Paul, mon beau-père, me dit qu'elle est très belle. Elle passe de bras en bras, chacun lui expliquant son lien de parenté. 
- Je suis ta grand-mère...
- Je suis ton grand-père...
- Je suis Dany...
- Je suis papi...
Je ne sais pas ce qu'elle comprend. Elle regarde, mi-amusée mi-grave, comme à son habitude, mes parents et ceux de Julien. Puis revient vite dans mes bras qui sont probablement pour l'instant ceux qu'elle trouve les plus rassurants. 

Je me demande, en la regardant observer tout autour, ce que cette montagne de chamboulements peut avoir de répercussions sur elle. Et ce que je ressens à ce moment précis, c'est que cette petite fille de seize mois a trouvé le juste équilibre sur ce chemin pourtant noueux. A l'aise, tranquille, elle y est parfaitement à sa place.

C'est une impression que j'aurai souvent à partir de maintenant, de trouver dans toutes les situations du quotidien que ma fille y est parfaitement à sa place.
Et je pense que c'est ça, en tout premier lieu, une adoption réussie.

Après avoir dit au-revoir à Françoise, Didier et Mattéo avec un pincement au coeur, nous rentrons dans notre village.

Ma première épreuve de mère est d'attacher ma fille dans le siège bébé de la voiture de mes parents.
Couchée sur elle (la pauvre), je cherche la logique dans ce fatras de sangles, qui bien sûr s'est emmêlé. Enfin, je crois. Car quand j'ai l'impression de l'avoir désemmêlé, ce n'est pas mieux.
C'est simple : il faut avoir fait polytechnique pour attacher un enfant dans un siège.
Quand enfin les sangles semblent s'aligner harmonieusement, c'est à dire passant sous le siège (lui même retenu par la ceinture de sécurité qui doit s'insérer bien droit dans un interstice mince et inaccessible), ressortant au bon endroit, puis à plat entre les jambes, encadrant la taille sans la serrer, par-dessus les épaules, mais pas trop près du cou, et que l'enfant n'est pas plié en deux à cause d'un mauvais réglage de longueur, vient l'épreuve de la fermeture. Trois morceaux de puzzle de plastique doivent s'imbriquer les uns dans les autres, à ne considérer fermé que quand on entend un clic (ou un clac).
Julien s'en mêle, mon père aussi, et chacun y va de son avis qui ne font que m'embrouiller davantage. Je n'ai qu'une envie, c'est de faire un nœud avec tout ça, elle sera aussi bien arnachée !
Mais ce ne serait pas conforme à la loi.
Alors reprenant mon souffle, je plonge à nouveau sur ma pauvre Flore et à force d'entêtement et d'agitation (et de repoussage de mains de Julien qui voudrait partager l'expérience), je finis par entendre le clic (qui en effet fait plutôt clac) libérateur.
Nous partons. Il était temps, je commençais à m'énerver un peu.

A l'arrière de la voiture avec Flore, je regarde défiler les paysages de la région parisienne de ce petit matin gris de septembre : Je les vois maintenant au travers d'un prisme nouveau, celui des longues rues chaudes, vivantes et bondées d'Haïti. Je sais que ma vision de la vie ne sera plus jamais pareille. Cela paraît disproportionné, peut-être, mais mon expérience pourtant courte de cette terre lointaine est liée à un attachement exceptionnel qui me la rend intime et vitale.

Des ballons multicolores, des banderoles et des dessins recouvrent les murs et le portail de notre maison. Ma sœur France et mon neveu Charles, qui a cinq ans, courent au devant de la voiture quand nous arrivons. Je découvre Flore dans les yeux de Charles. Il lui tend la main en lui disant bonjour. Flore est immédiatement sensible à ce signe tout simple de bienvenue. Elle lui attrape le poing, et lui fait un magnifique sourire.
Le monde des enfants a des mystères et des beautés dont nous devrions prendre exemple.

Ma sœur ne cesse de répéter en regardant Flore :
- C'est invraisemblable ! Non, mais, c'est invraisemblable !
Très complices comme nous l'avons toujours été, je comprends ce qu'elle veut dire, et nous commençons à en rire.
Le monde des sœurs aussi a ses beautés...
Je commence à ressentir la fatigue du jetlag et de la nuit blanche. La pression retombe enfin. Je suis chez moi.

Dans un sentiment d'irréalité, je m'asseois, ma fille sur les genoux, et nous prenons en famille un super petit déjeuner.
Puis, quand tout le monde repart, je m'allonge sur mon lit, Julien à mes côtés, Flore dans les bras, et nous dormons, dormons, dormons, comme jamais nous n'avons dormi.




8 avr. 2014

59 - La traversée de l'Atlantique


J'ai l'impression d'être dans un autre monde.
Il fait frais dans l'avion. Installés dans la rangée centrale, Flore est dans un berceau devant moi, Mattéo à ma droite. Julien a une place de l'autre côté de l'allée.
Les hôtesses m'ont expliqué qu'en cas de trou d'air, je dois reprendre ma gamine avec moi, et attacher sa ceinture à ma ceinture.
C'est rigolo.

Mattéo est toujours silencieux. Il a une grosse plaie à la main qui s'est infectée, juste avant de partir. Je vérifie régulièrement son bandage ; il se laisse faire sans rien dire, mais je sais qu'il a très mal. De temps à autre, je lui montre les photos de Françoise et Didier, en lui rappelant que nous volons vers sa maman et son papa.

La première escale en Martinique n'est pas très agréable : le passage en douane est long, mais nous passons finalement assez facilement. Julien ne trouve aucun endroit pour fumer. Je vois qu'il prend sur lui. En tant qu'ancienne fumeuse, je compatis.
Le vol pour Paris prend une autre allure.
J'ai toujours une petite appréhension, mais quelque chose de plus fort m'envahit : Je regarde Flore sans arrêt. Je n'en reviens pas qu'elle soit auprès de moi, en route pour la France.
Nous volons vers la nuit, et tout le monde s'endort dans l'avion. Sauf elle et moi. Elle aussi me regarde. Il passe tant de choses entre nous.

A un moment, l'homme de l'autre côté de Mattéo bouge dans son sommeil, et se retourne, faisant tomber son bras sur la main endolorie du petit garçon, qui se réveille en poussant un hurlement de douleur. Les passagers alentour, extirpés de leur sommeil en sursaut, me regardent méchamment. Je dois absolument faire cesser les cris. Je bafouille de vagues excuses à la cantonade, je cajole Mattéo qui a mal. Il se rendort rapidement. Les voisins aussi.
Ouf !

Quelques instants plus tard, je sens qu'il faut changer Flore. Julien me propose d'aller le faire. Je m'empresse d'accepter. Changer un bébé dans les toilettes d'un avion relève de l'exploit !
Après son exercice de contorsionniste, Julien profite de l'occasion pour faire faire un tour à Flore, et jouer avec elle. Il lui donne un petit gâteau au chocolat, s'amusant à faire semblant de le croquer à sa place. Il fait sombre dans l'avion, je les aperçois qui rient tous les deux.
Je me détends un peu, quand un cri effroyable retentit. Julien me balance Flore dans les bras, l'air paniqué. La gamine hurle à pleine puissance. Entre deux cris, il m'explique que dans la pénombre, il a confondu le chocolat et le petit doigt marron de notre fille, et qu'il a joyeusement croqué dedans !
Ma pauvre poulette ! Quels parents turlututus on t'a fourgués là !

Bien sûr, les voisins sont à nouveau réveillés. Je me ratatine dans mon fauteuil, laissant Julien se dépatouiller avec la situation. Mattéo commence à bouger dans son sommeil. Pourvu qu'il ne se coince pas sa main blessée. Julien fait des gestes d'apaisement envers les passagers. Je calme Flore, Mattéo se renfonce dans son siège, le calme revient...

Ce qui est bien, avec tout ça, c'est que je n'ai pas le temps de penser que j'ai peur. On devrait faire breveter notre découverte en faveur des personnes anxieuses en avion : Voyager avec des enfants à qui on mord le doigt, ça occupe l'esprit !

Le reste du vol est sans embûche, rythmé par un nombre impressionnant de visites aux toilettes, pour les deux enfants à tour de rôle, afin de prévenir les incidents . Je laisse à Julien le plaisir des manoeuvres, devenu un véritable expert es-pipi-caca en espace restreint.

Quand vient le petit déjeuner, les lumières d'Orly sont en vue et, à part que Mattéo me pique ma compote, je mange avec plaisir, me répétant qu'approche le moment où les parents de Julien et les miens vont faire la connaissance de notre fille.
J'ai de belles décharges d'adrénaline, et suis impatiente de les voir. Je me demande comment cela va se passer pour Mattéo. J'espère de tout mon cœur qu'il va reconnaître ses parents. Je lui montre la photo sans arrêt, en lui répétant que nous arrivons, et que sa maman et son papa sont là, en bas, et n'attendent que lui.

A 7h06 heure de Paris, notre avion se pose.
Bien évidemment, nous mettons un temps fou à retrouver nos valises, avec une légère appréhension qu'elles ne se soient finalement arrêtées en Guadeloupe.

Mattéo soudain s'énerve. Par un tout petit espace dans une baie vitrée, il vient de repérer Françoise, les larmes aux yeux, qui tend les bras vers lui. Il est radieux, il a tout compris, il sait qu'il va retrouver sa maman et son papa.

Flore garde son air grave, sa tête haute, son port de reine.
Elle n'a pas dormi une seule seconde, cette nuit, et moi non plus. Mais quand nous passons la porte tous les quatre, nous resplendissons de bonheur.

7 avr. 2014

58 - Le voyage de retour (2)

Nous voilà repartis vers les autres étapes. Il ne faut maintenant plus trop traîner.
Une taxe dont nous ne comprenons pas bien la teneur est à payer en espèce auprès d'un préposé qui se balade dans le hall. Il faut déjà le trouver. Un attroupement nous indique qu'il n'est pas loin. Devant nous, des personnes payent 20 dollars. Je prépare ma monnaie, mais on m'en demande 30, en échange d'un morceau de papier racorni format post-it où la personne signe d'un grigri curieux.

Le monsieur de la sécurité, qui ne nous a pas lâchés depuis notre arrivée, m'explique des choses que je ne comprends pas. Il me montre la direction à prendre pour rejoindre la file qui va vers la porte d'embarquement (que j'avais déjà repérée, puisqu'il y a des panneaux). LaDawn semble surprise de sa présence, et me dit que c'est la première fois que l'aéroport met une personne à disposition des touristes. J'ai un vague pressentiment. Nous progressons vers la porte, sachant qu'à partir de là, nous devrons continuer seuls. Je ne suis pas tranquille. Flore ouvre grand les yeux, et regarde partout. La foule colorée et bruyante l'inquiète et l'attire.
Deux gendarmes français s'approchent de nous, et nous demandent si tout va bien. En cas de problèmes, nous expliquent-ils, ils sont là. Mais ne pourront plus rien faire pour nous une fois la porte passée. Evidemment. Là où c'est le plus critique.
Tiens, notre guide a disparu.
Les gendarmes s'éloignent.
Tiens, notre guide réapparaît.
Etrange, non ?
Et voilà qu'il nous présente un de ses collègues, maintenant ! Deux vigiles pour veiller sur un couple anodin avec un bébé et un petit garçon, dans un aéroport international bondé, c'est le grand luxe !
Et très utile, surtout.

Je ne dis rien, un peu focalisée sur la suite des évènements, mais je sens bien le coup venir.

Nous voilà à la porte. A regret, nous nous séparons de LaDawn, qui nous promet de rester jusqu'à ce que l'avion ait décollé, au cas où. (je note avec quiétude le « au cas où »).

L'homme du service de sécurité de l'aéroport nous explique que lui aussi va devoir nous laisser. C'est curieux, non, que des employés de l'aéroport ne puissent aller partout ?
Et sans surprise, nous l'entendons bien clairement cette fois-ci nous demander son salaire pour nous avoir protégés et guidés dans le hall.
C'est aussi ridicule que celui qui avait couru à côté de notre chariot à l'arrivée, mais bon, Julien lui donne les quelques Gourdes qui nous restent, et il repart, heureux, nous souhaitant mille fois bon voyage et bonne continuation.

A la porte, nous donnons notre sésame, le post-it grigrité à 30 dollars.
Nous arrivons dans une salle, face au kiosque IBESR. On m'avait prévenu que parfois, ils n'y étaient pas. Mais bien sûr, pour nous, ils ont fait l'effort. Et un gros monsieur sévère nous fait signe d'avancer.
Je prends mon sourire d'hôtesse de l'air (de circonstance) et lui lance joyeusement en lui tendant nos quatre passeports :
- Bonjour Monsieur, vous allez bien ?
Ca ne mange pas de pain, et de toutes façons, faut être poli, dans la vie.

Miracle, est-ce mon charisme, mon savoir-vivre, ou le fait qu'il y a tout plein de gens derrière nous, le monsieur me rend mon sourire, avec les passeports, et nous fait signe de passer. On serre les fesses (on ne sait jamais), et on se dirige vers la douane.

Un jeune douanier zélé nous demande de tout déposer sur le tapis roulant : vider entièrement nos poches, nos sacs, et retirer nos chaussures.
Retirer nos chaussures...
Comme si on avait eu l'idée de cacher du shit dans nos semelles.
Julien, qui a envie de s'en griller une depuis deux heures qu'on poirote, a son briquet et son paquet de cigarettes en main.
Il faut aussi les mettre sur le tapis.
J'ai un flash : Julien en James Bond, a caché une bombe à mèche courte dans son zippo et cran d'arrêt miniature dans une Marlboro.
On obtempère. Retirer les sandales à Flore est une épreuve. Elle fait du pédalo. Mattéo ne veut pas ôter ses chaussures. On parlemente en tentant de ne pas envenimer la situation de part et d'autre. Voyant que ça pourrait devenir lourd, le douanier accepte que Mattéo garde ses chaussures. Mais pas nous. Ni les clopes. Ni le briquet.

Et étrangement, quand nous passons de l'autre côté du portique, le briquet a disparu. Julien est furieux. Mais je l'arrête dans son élan meurtrier, car des policiers haïtiens s'approchent de nous. Nous leur tournons le dos, espérant qu'ainsi nous n'attirions pas leur attention (comme quand au collège, un prof cherchait qui interroger, et qu'on regardait tous dans notre case) pour remettre nos chaussures et surtout celles de Flore. Ils s'éloignent.

Je n'ose y croire. Tout s'est (presque) bien passé (je mets à part le comptoir Air France, le service d'ordre fictif et le briquet) !

Mais Julien n'est pas de cet avis. Il faut qu'il fume une cigarette avant d'embarquer, il est en manque, de méchante humeur, il n'a plus de briquet, il ne sait pas où aller, il a chaud...
A l'étage, il y a quelques boutiques. Il file là-haut en me disant qu'il va trouver du feu, et fumer sa clope. J'attends sagement qu'il revienne quand on nous fait signe d'embarquer illico. Je rappelle Julien, qui n'a eu le temps ni de trouver du feu ni de fumer, il maudit la terre entière mais est bien obligé de nous rejoindre.

Nous traversons le tarmac brûlant en direction de l'avion. Je pense que je ne pourrai de sitôt remettre les pieds sur le sol de ce pays fascinant. Je me retourne une dernière fois et aperçois au loin les montagnes baignées de brume.
Puis nous grimpons dans l'Airbus qui décolle peu de temps après pour nous emporter, Julien, Flore, Mattéo et moi, vers chez nous.

3 avr. 2014

57 - Le voyage de retour (1)

Tout s'arrange pour que nous ramenions Mattéo avec nous. Bon, pas très simplement, c'est sûr : Fançoise nous faxe les documents manquants ainsi qu'une décharge parentale, qui doit être acceptée et estampillée par les services sociaux haïtiens.
Ses parents procurent à Mattéo a un billet d'avion électronique (ça a son importance pour la suite).
Dixie explique au petit bonhomme qui nous sommes, et que nous allons faire un grand voyage ensemble pour l'amener à ses parents.
Nous faisons ce qu'il faut pour le mettre en confiance, tout en gardant une certaine distance afin qu'il comprenne bien que nous ne sommes que des passeurs.

Parallèlement, nous nous préparons psychologiquement à affronter à nouveau l'aéroport de Toussaint Louverture.

Parce qu'il faut dire que les témoignages des autres adoptants concernant le départ d'Haïti sont tout aussi flippants que ceux qui concernaient l'arrivée :
Il ne faut pas oublier de présenter notre visa temporaire, celui sur lequel est écrit « récréation ».
Avant l'embarquement, il existe un kiosque IBESR où les fonctionnaires sont très pointilleux : Ils peuvent vous demander de sortir tous les papiers du dossier pour les vérifier un à un. Et là, s'ils le veulent, ils peuvent nous créer des ennuis avec les fautes, et ce n'est pas difficile : sur les documents administratifs haïtiens, tapés à la machine à écrire, les fautes (de frappe, d'orthographe des noms communs mais aussi des noms propres) sont pléthores.
Sans compter le consentement éclairé.
Celui-ci doit être carrément planqué dans notre culotte !
C'est dire.
Pourquoi ?

Pour l'expliquer, il faut que je fasse une petite digression. La loi haïtienne ne reconnaît que l'adoption simple, qui est une forme d'adoption juridiquement moins complète que l'adoption plénière. Afin que les adoptants puissent, en France, faire changer la simple en plénière auprès d'un tribunal, il est nécessaire d'obtenir des parents biologiques un consentement qui stipule qu'ils renoncent de façon irrévocable à leurs droits parentaux et autorisent l'adoption plénière.
Cela se fait dans tous les dossiers d'adoption haïtiens, mais ce n'est pas autorisé par la loi. Donc, ce consentement n'est surtout pas à mettre dans le dossier, car si l'IBESR tombe dessus, cela peut avoir des conséquences... comment dire... compliquées.
Au mieux.

Le nôtre est donc bien caché, sur moi (je ne dirai pas où...) et je vérifie toutes les trois minutes qu'il ne s'est pas faufilé ailleurs, le bougre.

Sinon, en plus du kiosque IBESR, on a appris également que la douane pouvait à son tour nous faire vider les valises et dépouiller le dossier. Ainsi que les gendarmes haïtiens qui eux, ont déjà interpellé des adoptants en pleine salle d'embarquement pour une fouille complète.
Avec le bol qu'on a dans les aéroports, j'ai peur qu'on cumule !

Sauf que non. Nous, il nous est arrivé quelque chose que je n'avais jamais lu dans les témoignages. Mais vu qu'on est abonnés aux situations burlesques et originales, autant ne pas faillir à la tradition.

Nous arrivons à l'aéroport. LaDawn, une bénévole de l'orphelinat qui s'occupe des adoptants, nous conduit et se propose de rester avec nous pour nous aider à franchir les premières étapes.
C'est toujours ça de pris.
Il fait une chaleur encore plus intense que les jours précédents.
Nous découvrons l'aéroport sous un autre jour. Ce qui est le cas de le dire, puisqu'à l'arrivée, il faisait nuit. Il n'y avait quasiment personne (sauf dans le couloir de la mort, si vous vous rappelez bien). Là, c'est bondé.
Nous nous dirigeons au comptoir d'Air France, où nous expliquons à une dame charmante que nous avons trois billets papier et un billet électronique (celui de Mattéo), mais qu'il faut absolument que nous soyons placés côte à côte, ne pouvant pas laisser le gamin seul dans un coin de l'avion.
Commence alors une très longue attente, où la charmante se décarcasse pour régler le problème. Sauf que pour bien commencer, elle ne comprend pas la situation. Julien lui explique. Une fois. Deux fois. Trois fois.
Ca n'a pas l'air très clair dans sa tête.
Julien s'impatiente. Il a Flore dans les bras. Lui qui pourtant supporte bien la chaleur qui grimpe sans cesse, est trempé. Je regarde les comptoirs, ils ont tous un grand ventilateur au plafond. Sauf celui d'Air France auquel il manque une pale. Bon, c'est pour nous. Comme on est bien parti pour y passer une partie de la journée, on est content.

Tandis que Julien parlemente patiemment avec la charmante, un homme en costume se présente à moi. Dans le vacarme de la salle, je ne comprends pas tout ce qu'il me dit, d'autant que son accent créole est assez marqué. Je finis par comprendre qu'il fait partie du service de sécurité de l'aéroport, et qu'il va nous escorter jusqu'à la douane. Je n'étais pas particulièrement inquiète de cette étape de l'embarquement, mais bon, pourquoi pas.

Julien m'appelle, et me demande d'expliquer à la dame. Peut-être qu'une autre version de notre situation l'aidera à comprendre.
De son côté, elle fait appel à une collègue, et à nous quatre, on finit par démêler le nœud (qui n'en était pas vraiment un, mais c'est une question de point de vue).

Phase deux : trouver quatre places contiguës. Ce qui n'est pas simple non plus.
Je regarde ma montre, le temps passe. Nous sommes arrivés en avance, mais tout de même, faudrait voir à pas trop perdre de temps : On a encore quelques fouilles au corps à subir, nous.

Je ne sais pas si c'est nous, ou la dame, ou le ventilateur cassé, ou le pas-de-bol, mais la démarche prend encore un temps inapproprié. Je n'en peux plus d'être debout, avec des chevilles à la Clarabelle (vous savez, la copine de Minnie dans le journal de Mickey, qu'a toujours de gros pieds dans ses chaussures).
Je suis admirative des deux enfants, qui ne bronchent pas, probablement assommés par la chaleur.
Julien dégouline. Il n'a pas assez de son mouchoir pour s'éponger. Il demande à la dame si elle n'a pas une boîte à outils pour qu'il répare le ventilateur.
Je lui fais signe de ne pas parasiter sa réflexion. Sinon, on y est encore ce soir.
Mais je suis mauvaise langue, et elle finit (non sans mal) à nous trouver quatre places.

Il faut maintenant enregistrer nos bagages.
Allez savoir pourquoi, vu comme c'est engagé, je développe une certaine vigilance à l'égard de la manœuvre. L'instinct dû à l'expérience, sans doute. Je me penche donc sur le comptoir, tandis qu'à côté de nous, quatre bonnes-soeurs s'enregistrent pour Pointe-à-Pitre.
La dame attrape tous les bagages, les nôtres et ceux des religieuses, et tape sur sa machine. Un ruban autocollant en sort, qu'elle colle avec une grande claque sur nos valises. Au même moment, je lis (à l'envers, habitude d'instit'), « PAP - Gua » sur l'étiquette, tandis que les bagages entament leur démarrage en trombe sur le tapis roulant. Destination finale : Pointe-à-Pitre, Guadeloupe.
Sans plus me contrôler, je hurle à l'hôtesse, qui sursaute de peur, de stopper le tapis !
Nous, c'est à ORLY qu'on va, pas en Guadeloupe.
Et en plus, notre escale, c'est Fort de France, en Martinique.

Penaude, elle retape sur sa machine et nous sort les bonnes étiquettes, qu'elle me montre pour relecture avant de les coller par-dessus les autres.
Je prie (et pas les ouinch ouinch diplomatiques de d'habitude) pour qu'ils ne se décollent pas.

Enfin, au terme d'une heure et demi de tourments, nous quittons le comptoir surchauffé d'Air France.

Fins prêts pour affronter la suite du périple.


1 avr. 2014

56 - Mattéo

Je passe du temps dans la salle informatique à envoyer des mails à mes amies adoptantes, et surtout à ma famille.
La salle, surchauffée, est le domaine privilégié des moustiques, attirés par l'électricité statique qui y est concentrée.
Ils sont minuscules, on les voit à peine, mais ce sont d'insatiables voraces ! Sur les conseils que mon médecin nous avait donnés avant de partir, je m'habille de blanc, jambes et manches longues (et ça maintient au chaud, aussi !), pour éviter qu'il y a ait trop de tentation à nu. Mais à l'évidence, le tissu ne les arrête pas : les monstres se tapent goulûment la cloche sur mes jambes qui n'ont plus de jambes que le nom, pauvres poteaux gonflés et marbrés de points rouges, chauds et douloureux. (parce qu'en plus, je fais de la rétention d'eau).
Les moustiques, ici, c'est l'enfer ! Je les hais !
Comme je ne vais pas me badigeonner de Baygon, je ne stationne que le strict minimum dans la salle informatique, et toutes façons, j'ai mieux à faire.

Nous décidons d'aller voir les enfants de la maison des grands, où j'ai quelques photos à prendre.
L'orphelinat est scindé en deux parties : celle des petits, où se trouvent Flore et tous les enfants de moins de deux ans, et la maison des grands, où se trouvent tous les autres. La bâtisse qui accueille les grands est à l'autre bout du hameau, et nous en profitons pour nous promener dans les environs.
Flore est ravie de voir les petits cochons noirs qui se baladent en liberté dans les rues (enfin, je dis les rues, ce sont plutôt des chemins de cailloux et de pierres concassées), et fouillent avec leur groin les tas de déchets qu'ils trouvent un peu partout.

Nous arrivons. Un portail vert pâle garde l'entrée du bâtiment. Dans l'interstice sous le portail, des dizaines de petites mains vont et viennent, cherchant à attirer notre attention, et on aperçoit quelques bouts de nez. Ca crie, ça piaille, et quand le vigile ouvre le portail, une nuée de petites bonnes femmes et bonshommes nous saute dessus en riant.

Les bénévoles en choisissent une vingtaine pour aller faire une promenade. Enfermés à longueur de temps entre les quatre hauts murs de la cour, les enfants n'attendent que cela. Ils sortent une ou deux fois par semaine, à tour de rôle.
Nous emmenons donc avec nous une petite troupe d'enfants entre deux ans et demi et quinze ans.
Je constate tout de suite une solidarité qui se met en place dans le groupe : les plus âgés s'organisent pour encadrer les plus jeunes, leur donnent la main, les relèvent s'ils tombent, les mouchent, leur expliquent.
Quand je pense au mal de chien que j'ai à faire garder le rang à mes élèves, à régler les conflits et les bagarres de la cour de récréation, je me dis qu'ils pourraient en prendre de la graine !

Julien a autour de lui une nuée de gosses. Il n'a pas assez de bras pour tous, alors ils s'agrippent à sa chemise. Les seuls hommes que ces gamins voient sont les vigiles qui surveillent en permanence leur maison et leur cour. Je ne suis pas sûre que ces hommes aient le temps de leur parler, de leur tenir la main et de leur faire des bisous !

Parmi les enfants, il y a Mattéo. Aux yeux vifs, mais tristes. Ce regard grave, que Flore aussi a très souvent, je le retrouve chez beaucoup d'enfants, ici. Il cache une histoire et des sentiments que nous ne pouvons même pas imaginer. Il alterne avec le pétillement insouciant qu'ont tous les enfants du monde au fond des yeux, quand ils dansent, qu'ils jouent à chat ou à cache-cache. Mais quand les jeux sont finis, c'est toujours ce regard grave qui revient.
Dans la cour de récréation de mon village près de Paris, jamais je n'ai vu un tel regard.
Je ne dois pas l'oublier.

L'histoire de Mattéo est invraisemblable. Mattéo a été adopté par Françoise et Didier, des Belges que je connais bien. Quinze jours avant que nous n'arrivions, leur procédure terminée, ils sont venus le chercher. Alors qu'ils étaient en Haïti, faisant connaissance avec leur enfant, commençant à tisser des liens forts avec ce petit garçon de trois ans, une loi est passée en Belgique, exigeant un nouveau document pour les dossiers d'adoption que bien sûr, les parents de Mattéo n'avaient pas.
Sans ce papier, on ne les a pas autorisés à ramener Mattéo, et Françoise et Didier ont dû rentrer en Belgique, sans lui.
Après dix jours passés à construire le départ de leur nouvelle vie ensemble.

Effondrés, aidés de Dixie, ils ont tout tenté. En vain. Ils ont dû partir, laissant derrière eux un petit bonhomme meurtri, sans pouvoir même lui dire quand ils reviendraient.
Quelqu'un s'est-il posé la question, dans les administrations, de savoir comment cet enfant allait vivre ce nouvel abandon ? Car comment faire entendre à un enfant qui a déjà été abandonné la certitude qu'on va revenir ? Pourquoi Mattéo ferait-il plus confiance à ces parents-là qu'aux parents biologiques qui ne sont jamais revenus ?

Je ne suis pas dans la tête de Mattéo, mais je vois ses grands yeux noirs qui nous détaillent avidement : Peut-être lui rappelons-nous son papa et sa maman qu'il a entrevus quelques semaines plus tôt.
Et je partage la colère que je sens derrière son regard.

Mais une bonne fée a entendu ma colère, et la fin de la promenade nous apporte une bonne nouvelle : De retour à l'orphelinat, Dixie nous apprend que le gouvernement Belge vient d'accorder une dérogation aux parents de Mattéo, et qu'ils vont pouvoir revenir le chercher. Le souci, c'est qu'il va être difficile pour eux de prendre un nouveau congé professionnel, que les vols sont rares et très chers (surtout pris au dernier moment, comme ça), et que des soucis familiaux les retiennent chez eux.

Germe alors dans mon esprit une petite idée, que je garde secrète pour l'instant, pour ne donner de faux espoirs à personne. Mais à l'autre bout du monde, là-bas, à Bruxelles, une autre maman a la même petite idée.
Qui s'avèrera être une grande idée.

Car c'est ainsi que, trois jours plus tard, nous reprenons le 4x4 vers Toussaint Louverture pour rentrer à Paris, Flore, Julien, moi et... Mattéo.