12 sept. 2014

Un petit bout de langue

Julien entreprend donc le voyage pour Haïti tout seul. Avec des tonnes de médicaments (ça ne vous rappelle rien ?), des vêtements, des jouets, des cadeaux, son appareil photo, un petit ordinateur avec Skype, et des milliers de recommandations.
Nous sommes en décembre, la situation est assez stable en Haïti, nous trouvons un vol qui arrive en pleine journée (pas besoin de faire appel au chauffeur du Visa Lodge et à Spirou et Fantasio).
Tout se profile à merveille.
Mais, restons méfiants tout de même.

Je dresse une longue liste des questions que Julien devra poser et des remarques qu'il devra noter.
Il n'est pas médecin, mais il est chargé d'ausculter Alexandra sous toutes ses coutures. Parce que, dans son bilan médical, et dans les updates que nous recevons tous les mois, il y a des petites choses qui demandent à être précisées.
Par exemple, nous savons qu'elle est porteuse saine de la drépanocytose qui est une maladie génétique qui affecte les globules rouges. Elle n'en aura jamais de symptômes, mais ne devra pas avoir d'enfants avec un homme qui serait porteur sain également, parce que leur enfant développerait la forme pathologique.
Elle a également sur la peau des plaies dues à une infection de la gale... Le souvenir de l'Ascabiol étant encore récent (et cuisant, surtout), je demande à Julien d'y apporter une attention absolue !

Et puis, il y a une observation qui m'inquiète plus que le reste : Sur la plupart des photos qu'on nous envoie, Alexandra a le bout de sa langue sortie.
Lors de la procédure de Flore, je me souviens d'une petite fille qui avait été attribuée à une amie, et il s'était révélé, quasiment en fin de procédure, qu'elle était autiste. Le choc avait été terriblement violent, et j'en étais restée très marquée, pour de nombreuses raisons.
Alors , c'est sûr, je ne peux m'empêcher de guetter avec anxiété tous les signes d'une maladie mentale chez Alexandra...
Et cette petite langue m'inquiète.

Il ne faut pas perdre de vue que ces enfants n'ont pas eu le suivi dont les bébés français bénéficient dès la naissance.

Je me souviens aussi d'une petite fille qui souffrait d'hospitalisme.
L'hospitalisme, qu'on appelle aussi parfois le syndrome des pouponnières, est un syndrome de régression mentale, que développent parfois en orphelinat les enfants abandonnés, qui manquent de stimulation et, bien évidemment, d'amour. Par la suite, dans un environnement familial calme et aimant, les choses rentrent – normalement – dans l'ordre.
Mais les troubles de l'hospitalisme ne sont pas sans rappeler ceux de l'autisme. Comment faire la part des choses ? Surtout quand on est à des milliers de kilomètres ?

Certains parents adoptent des enfants avec des problèmes de santé ou des handicaps connus : troubles cardiaques, fentes palatines, séropositivité, trisomie, pieds bots... Ces parents acceptent leur enfant différent en toute connaissance de cause et y sont préparés.

Tout comme quand on met son enfant au monde, on n'est jamais à l'abri qu'une maladie se déclare.

Mais je repense à ces troubles mentaux ou psychologiques graves, qu'on ne décèle pas faute d'examens spécialisés, qui empirent avec l'abandon, le manque de stimulation, l'absence d'amour, la vie en collectivité, le bruit, le stress... et là on se dit que oui, en effet, il faut monter des dossiers et réunir toutes les informations nécessaires à l'adoption de notre enfant... mais pourquoi donc est-ce si long, quand on sait que chaque jour passé sans amour est un jour qui peut tuer !

Julien prend son rôle très au sérieux – c'est tout juste s'il n'a pas acheté le Vidal – se fait ses chek-list, imagine des scénarios, du meilleur au pire (basés sur l'excellente expérience de notre premier voyage), nous filme pour montrer à Alexandra, fait des albums photos, case des petits robes entre ses tee-shirt, répète ce qu'il doit dire (ou pas) aux juges et administrations haïtiennes, éparpille des dizaines de sachets de SMECTA dans sa valise, révise les prescriptions des autres adoptants concernant cette scrogneugneu de nouvelle procédure...

… et surtout, se prépare à voir Alexandra, à l'apprivoiser, à l'aimer puis... à revenir sans elle.

2 commentaires:

  1. Arffff, que de stress....
    J'ai hâte de lire comment s'est passé le voyage et faire un peu plus la connaissance d'Alexandra.

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