3 mars 2014

41 - La fin de la procédure ?

Et les jours passent, à la fois vite et lentement. Les mystères du temps - moi qui ai une incompatibilité notoire avec lui - me fascinent. Les grandes vacances arrivent (oui, je sais, j'ai une terminologie très école primaire...), sans que nous ne sachions trop où en est notre dossier.
Nous laissons filer notre quotidien avec la sérénité d'une bande de krill face à une baleine, et d'ailleurs, nous prenons assidûment nos algues et nos plantes.


Sur les photos que nous recevons, Flore semble s'éloigner de l'image Yul-Bob que je m'étais (irrationnellement) forgée, et c'est une très jolie petite fille que je découvre de mois en mois sur les updates. Certains continuent à me tournebouler, comme par exemple celui où Dixie m'apprend que ma fille a attrapé le « Chikenpox ». Mon niveau d'anglais étant nettement supérieur à celui d'espagnol, je me fais une frayeur de la mort en imaginant tout et son contraire, avec une forte prédilection pour une maladie tropicale rarissime qui aurait transformé mon enfant en poulet. Heureusement qu'il y a les photos, et que je découvre ma pauvre poulette (c'est le cas de le dire) bardée des boutons de varicelle, saupoudrée de poudre blanche sur sa peau noire...


Ca fait limite peur.

Une autre fois, je reçois une série de photographies où visiblement, ce n'était pas un bon jour : bouche carrée, larmes résiduelles sur les joues, regard noir... ça sent le réveil en fanfare et l'humeur de chien qui en découle.
Une autre fois encore, nez qui coule, œil dans le vague, peau grise... j'imagine bien une grosse bronchite avec sa fièvre de cheval (Krill, baleine, poulet, chien, cheval, je suis très métaphore animalière aujourd'hui).

Je me crée ainsi une petite ménagerie des maladies infantiles de ma fille, ce qui ne m'empêche d'avoir la pensée récurrente et dérangeante que je ne suis pas à son chevet quand elle est malade.

J'ai tout loisir de ressasser ça, puisque comme toute bonne instit' qui se respecte, je passe ma vie en vacances. Et bien que mon salaire colossal m'offre l'opportunité de voyages dépaysants à la découverte des Côtes d'Armor ou de l'Ille et Vilaine, nous décidons de tirer un trait, cette année, sur les équipées sauvages du Wild Wild West Breton.
En plus, on ne sait jamais, comme la procédure pourrait d'un coup se doter d'un turbo, on préfère rester chez nous.


D'ailleurs, il faut préparer la chambre de Flore : Jusqu'à présent frileux par superstition, maintenant que nous avons l'autorisation d'adopter de l'IBESR, on peut commencer à y songer. Et bien sûr, malgré ma réticence à toute consommation outrancière, je me lâche un peu côté décoration et vêtements pour bébé. Je sais qu'elle est toute frêle et menue, ma gamine, et pour les vêtements, ce n'est pas facile, mais j'y vais joyeusement en prenant un panel des plusieurs tailles. Dans le lot, il y aura bien quelque chose qui lui ira.


Les vacances passent, de peinture en papier-peint, de robettes en doudoune (ben comme je ne sais pas trop quand elle va arriver, je dois prévoir du chaud et du froid !). La chambre de Flore est prête, son armoire et son coffre à jouets remplis.


Je passe de longs moments assise dans cette petite chambre, à contempler ce lieu vide et silencieux que Julien et moi avons créé juste pour elle. Cet endroit qu'elle va remplir. Comme mon cœur. Comme ma vie.

C'est fou !

A l'approche de la rentrée, fin août, tout se bouscule dans ma tête. Quelques mails optimistes de Dixie me laissent croire que nous tenons le bon bout. Mais sans précisions, sans date : Le passeport est en cours, puis il faudra le visa.
Vais-je partir avant de faire ma rentrée des classes ? Vais-je commencer l'année auprès de mes élèves ? Ma hiérarchie me tanne pour avoir une date ferme, mais c'est impossible : je ne saurai que je pars seulement quelques jours avant. Désolée, monsieur le Ministre de l'Education Nationale, mais c'est comme ça ! Une grossesse, on peut anticiper ; une adoption, non.
Je prépare l'année de mes CM2, bien sûr, mais quand Flore arrivera, j'aurai huit semaines de congé, et donc un remplaçant pour ma classe. Avec de telles incertitudes, je ne peux prévenir les parents d'élèves. C'est assez inconfortable.
Inconfortable aussi les inégalités dans les procédures : Avec la plupart de mes amies adoptantes, nous avons débuté les démarches au même moment. Et pourtant, il existe une disparité flagrante mais inexplicable dans l'avancée des dossiers. Alors que le nôtre semble avoir pris un bon rythme de croisière, d'autres stagnent en des endroits incongrus pour des raisons obscures.
Moi qui suis toujours prompte à ne pas prendre les malheurs des autres à mon compte, je culpabilise comme une brute.
Et en même temps, je ne vais pas me le cacher, je suis contente que ça avance pour nous.

Parce que j'ai comme une intuition. Que je ne peux expliquer : je
sais que la rencontre avec ma fille est toute proche.

En effet, à la f
in du mois d'août, la nouvelle tombe : Le passeport est prêt. La procédure haïtienne est terminée. Il ne manque plus que le visa, délivré par l'ambassade de France à Port-au-Prince.
OUAAAAAAIIIIIIISSSSS !!! (Gin, tonic, vino et rhum coco !)

Sauf que (eh oui...), à l'ambassade de France en Haïti, la consule qui s'occupe de mettre le coup de tampon visaiesque est sur le point de partir en vacances. Et que pour que Madame la Consule ait le droit de tamponner, il faut d'abord qu'elle obtienne l'accord de la Mission de l'Adoption Internationale à Paris qui doit vérifier une dernière fois notre dossier (qu'ils ont par-devers eux depuis un an).
Et si la consule ne reçoit pas l'autorisation avant de partir en vacances, personne ne pourra tamponner à sa place.
Et ça repoussera notre voyage pour aller chercher notre enfant d'un bon mois.
Au mieux.


C'est le pompon ! Je n'en peux plus ! Ils nous auront tout fait, et jusqu'à la dernière seconde.
Lors de la procédure haïtienne, on ne peut téléphoner dans les différentes administrations ne serait-ce que pour demander où en est notre dossier. Cela pourrait être pris pour de l'ingérence.
Mais là, que me dit Julien, c'est notre propre gouvernement, et rien ne nous empêche de les appeler.


Ce que je fais, portée par la nécessité physique et vitale que je ressens de serrer mon enfant contre moi.

Je suis pendue au téléphone tous les jours avec la MAI, à qui je sers ma voix sucrée très légèrement larmoyante (mais pas trop, pour pas énerver). Je dégotte l'adresse mail de la consule, à qui j'écris tout pleins de messages parfumés, la priant de nous attendre.

Je fais ma rentrée des classes, qui a un drôle de goût...

J'avale le millepertuis direct à la bouteille. Julien ingurgite sa spiruline par poignée.


Et puis le mercredi qui suit la rentrée,
coup de fil ! C'est la MAI :

FLORE A SON VISA, VOUS POUVEZ PARTIR...

La nouvelle n'a pas du tout l'effet attendu : Je ne saute pas de joie, je ne pleure pas, je ne ris pas. Mais je me retrouve plongée malgré moi au cœur d'une spirale d'irréalité. Comme dans un rêve, Julien et moi, on organise le voyage de notre vie au bout du monde. Le départ est prévu pour le 6 septembre.
Quelques jours encore à tenir en classe. J'explique la situation à mes élèves, leur parle de
l'adoption, leur montre ma fille, leur promets de venir les voir avec elle dès que je reviens !
Ils sont enthousiastes et heureux pour moi.

Je ne les aurai vu
qu'une semaine, mais déjà ils se sont attachés à cette maîtresse bizarre qui, en plein milieu d'une leçon de maths, regarde intensément au mur le cadre où trône la photo d’une jolie petite fille noire qui va devenir réalité d'ici à peine quelques jours... 


 

11 commentaires:

  1. Sensationnel, un vrai roman, ça m'a manqué! A quand la suite et des photos, bises. S.

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  2. Un voyage sûrement inoubliable, je n'imagine même pas votre état d'excitation!!

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  3. Wahou, je frissonne !
    Allez zou, fais tes valises, n'oublies rien et court dans l'avion !
    Ta fille t'attend !

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    1. Ca vient, ça vient ! Le gros navion vient de décoller ;-)

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  4. Tellement émouvante est votre attente...J'en ai les larmes aux yeux! je frissonne avec vous, j'en ai le coeur qui bat plus intensément!
    Vite vite, que vous arriviez au bout de ce si long voyage vers votre fille! Quelle émotion!!!

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    1. Merci Evelyne, ta sensibilité est très fine ;-)

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