15 sept. 2014

Le brame du cerf

Je mets un point d'honneur à partager mon amour de la nature avec ma fille.

Ca commence par les balades en forêt avec jumelles, livres de traces et indices, loupes et carnet d'aventure.
L'air de rien, Flore s'intéresse. Avec son tempérament fougueux, je pensais que la contemplation et l'observation allaient vite l'irriter. Et bien non. Je suis même agréablement surprise, car elle est particulièrement attentive à la vie de la nature.

Son enthousiasme est tellement réel qu'elle ne peut manquer de le manifester avec entrain :
- REGARDE MAMAN LE GROS CHAMPIGNON ! IL EST BEAU, HEIN ?
Et là, même les bolets n'ont qu'une envie : se carapater loin de la source sonore avec les doigts dans les oreilles.
Alors les écureuils, chevreuils, piverts et campagnols ne font pas long feu dans notre périmètre...

Mais il nous reste tout pleins de traces au sol, de poils sur les arbres, de têtards dans les mares et de crottes à décortiquer (chouette !).

Me vient un soir la bonne idée d'emmener ma fille écouter le brame du cerf.
Oui, je sais, pour les enfants, ça peut être angoissant de se cacher en pleine nuit en lisière de forêt, pour surprendre des cerfs dont le cri en cette période se rapproche plus du rugissement du lion que du glapissement du lapin.

Et puis, il faut expliquer, aussi.
Que le cerf brame pour prouver qu'il est le plus fort et le plus beau, pour attirer les biches, et, à l'occasion, grimper dessus pour... enfin... voilà, quoi...

Bref ! Il ne faut pas manquer très tôt d'apprendre à nos enfants que la nature, ce n'est pas tout à fait comme dans Walt Disney.

Flore se serre contre Julien, mais ne dit mot (pour une fois), et écoute, fascinée et inquiète à la fois.
Voilà une chouette activité pour lui couper la chique : Je note.
Et la preuve, si besoin en était, de l'humilité de l'homme face à la puissance de la nature.
Je constate la vertu positive de la chose sur ma fille. Dommage que le brame ne dure que deux mois.

Racontant ça un soir à des copains, nous décidons de retourner y faire un tour, entre adultes, et prendre un peu plus de risques, s'aventurer dans les bois, goûter la magie de la forêt, la nuit, avec sa poésie, ses odeurs, son silence ponctué des petits acteurs de la vie nocturne.

Nous voilà, une dizaine de copains à la queue-leu-leu, tels des aventuriers, sur le sentier de la découverte.
Nous pénétrons plus avant dans les sous-bois. Nous savons que les cerfs brament en terrain découvert, et nous voulons nous poster derrière la lisière, pour tenter de les observer, d'entendre un combat, de repérer la harde.
Une fantastique expérience en perspective.

Mais c'est sans compter sur notre sens de la discrétion lié à une infaillible expérience d'hommes et femmes des bois.

Déjà, on a de la chance : La nuit est bien noire. Mais alors, bien bien noire. Nous avons pris une lampe torche, mais nous sommes convenus de nous en servir seulement en cas d'extrême urgence.
Le fond de l'air est frais et humide, beaucoup d'entre nous ont mis des Kways.
Et qu'est ce que ça fait un Kway, hein ? Sur un corps en mouvement ?
Ca fait : Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !

Alors, quand on marche en Bretagne, en haut d'une falaise venteuse ou dans les rues du village, au bord d'une route, il passe inaperçu, le Fffcchh ! Fffcchh !
Mais quand on est en forêt, la nuit, courbé, aux aguets, retenant son souffle, progressant sur la pointe des pieds pour se fondre dans le biotope avec circonspection, le Fffcchh ! se détache mieux, dans le silence des bois.

Ma voisine de derrière m'empoigne. Je sens au tressautement de son bras qu'elle ricane.
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !
- Chhhuuuuttt ! Faites moins de bruit, chuchote-je, moi qui fais ma maline parce que je porte une polaire.
- T'es marrante, comment veux-tu qu'on fasse ?
- Ouais, on va pas se mettre tout nu, non plus !
- Hihihihi !
Je conçois.
- Bon ben essayez au moins de limiter les dégâts.
- J'vois pas comment.

Nous continuons à avancer, aussi discrets qu'une armée de moissonneuses batteuses.
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !
- Chuuuuut !
- Oooh ! C'est chiant !
- hihihihihi !
- C'est toi qui fais encore plus de bruit en nous disant de ne pas en faire !
- Chut !
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !

Le fou rire monte. Mon amie, derrière, ne m'a pas attendue, et tente de ne pas glousser trop fort. Je la sens se gondoler au bruit que fait son Kway.
Des petits Ffch ! Ffch ! Ffch ! rapides et répétés.

Je la sens bien, cette sortie.

Soudain, retentit un bruit hors norme :
- Arrggghhhh !
Ce n'est pas le brame ; ce n'est pas un kway ; ce n'est pas un ricanement...

Mon amie derrière moi allume aussitôt la lampe torche et la pointe en direction du bruit. Un copain s'est fait barrer la route par une liane de chèvrefeuille en travers de la gorge, et tente désespérément de s'en dépêtrer en faisant de grands moulinets avec les bras.
C'est plutôt rigolo, dans le noir total, avec le faisceau lumineux qui éclaire juste son buste et son visage à demi-garrotté.
D'ailleurs, le fou rire nous gagne, sauf peut-être le copain étranglé, qui râle que franchement, quelle idée de se balader en forêt la nuit, merde...

Arrivé à ce point de notre escapade, je pense que cerfs et compagnie sont depuis longtemps allés voir ailleurs si on (n') y était (pas!)


Au final, on n'a pas entendu bramer.
Déçus, on est rentré à la maison.
On s'est fait un vin chaud pour se remettre.
On a fini la soirée, plutôt en forme.
Et pour ne pas perdre de vue que nous sommes de grands spécialistes de la faune sauvage, nous sommes restés dans le sujet en créant un canon à deux voix :

Dans la forêt un grand cerf,
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !
Essayait en vain d'bramer !
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !
Malgré un très beau concert !
Fffcchh ! Fffcchh ! Fffcchh !
D'idiots en Kway !
Fffcchh !

 

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