20 juin 2014

83 - Alexandra


Est-il besoin que je vous réexplique la procédure pour notre deuxième adoption sans vous lasser.
Parce que nous-mêmes, on se lasserait presque des procédures qui se suivent et... se ressemblent, s'il n'y avait un fabuleux trésor à l'arrivée !

Bref, les mêmes dossiers, les mêmes entretiens, les mêmes visites aux experts (sauf que nous passons outre celle chez le psychiatre, on ne sait pas trop pourquoi, et c'est dommage, c'aurait été encore une occasion de rire !), les mêmes engueulades (eh oui, finalement), les mêmes attentes, le même agrément, les mêmes gin-tonic... 

Nous avons comme une impression de déjà-vu.

Ce n'est que quand nous envoyons notre gros dossier chez Dixie que les choses se corsent : les délais ont changé, et il va falloir attendre longtemps avant d'avoir une attribution. Pour Flore, ça avait été l'histoire de quelques semaines.
Maintenant, on nous parle de plusieurs mois.
Mais je ne me plains pas. A une amie qui adopte en Chine, on lui parle d'attente de sept à huit ans, alors, je relativise.

N'empêche : tous les matins, et cinquante fois par jour, j'ouvre ma messagerie pour voir si je n'ai pas LE fameux mail, celui qui me fera découvrir la bouille de mon deuxième enfant. De notre deuxième fille.

Et oui, ce sera une fille.
Moi, ça m'était égal. J'aurais bien aimé un petit garçon, mais c'est Julien. Lui, il veut une deuxième fille. Soit.
C'est une règle surprenante que j'ai constatée (et je l'ai lu dans les statistiques aussi) : les filles sont plus demandées à l'adoption que les garçons.
Quoi qu'il en soit, dans notre gros dossier, nous précisons donc notre préférence à Dixie : une petite fille, en bonne santé, de moins de trois ans à l'arrivée à la maison.

Ca vous paraît bizarre, hein, d'émettre des choix sur son futur enfant ? Je sais. Moi aussi, au début, ça me troublait.
On pourrait se dire que ce serait bien de s'en remettre au destin, comme lors d'une naissance, ou d'éviter de se compliquer les démarches avec des limites supplémentaires !
Sauf que quand on réfléchit bien à la question, lors d'une naissance, il y a beaucoup de paramètres qui ne sont pas du tout liés au hasard : votre enfant arrivera à zéro jour, aura votre couleur de peau, et vous ressemblera forcément.

Et puis, vouloir s'en remettre au destin, ça peut être dangereux, car c'est nier la réalité de l'adoption : la construction d'une famille autour de l'adoption est bien plus complexe que celle d'une famille "biologique", par le passé de l'enfant, son vécu, le regard des autres... qui doivent absolument trouver leur place dans l'histoire des parents adoptants. 


Adopter un enfant à n'importe quelles conditions, sans se questionner de ce qui sera le plus adapté pour que la famille se construise en harmonie, ce n'est pas sérieux. Et peut-être même pas viable ! Adopter intelligemment, c'est justement ne pas accepter n'importe quel enfant, c'est faire le deuil de l'enfant rêvé pour faire sa place à l'enfant réel que l'on attend selon ce que notre coeur mais aussi notre histoire nous dicte.

Quand je dis que je suis une maman presque comme les autres, c'est une réalité dont je ne démords pas. Je suis maman, ça, c'est sûr. Je le vis, je le sens au plus profond de mon être. Mais je sais que je ne pourrai jamais être tout à fait comme les mamans biologiques. C'est la particularité de ma famille, sa couleur, sa richesse.
J'en suis fière, et je l'assume parfaitement.



Quoi qu'il en soit, l'avis de Flore sur le choix d'un petit frère ou d'une petite sœur est assez floue.
Bien sûr, c'est notre demande et pas la sienne (c'est en premier lieu nous qui voulons un enfant, pas Flore qui veut un frère ou une sœur), mais je ne peux m'empêcher de temps à autre de lui demander ce qu'elle en pense.
Bon, comme ça change d'un jour à l'autre, au final, c'est aussi bien.
- Ca va être chouette, maman, je vais bientôt pouvoir jouer avec mon petit frère ou ma petite sœur dans ma chambre ! Hein ?

Bientôt... bientôt... Ce n'est pas vraiment sûr ! La procédure haïtienne menace d'être bien plus longue que la précédente !
Et en pensant cela, je suis loin d'imaginer le chaos que va être cette deuxième attente !

Mais pour l'instant, je guette. Et parfois même la nuit, quand je fais une insomnie, je vais allumer l'ordinateur. En Haïti, il est six heures de moins qu'à Paris. Alors
le mail peut très bien arriver à quatre heures du matin.

Le temps passe. C'est long, trop long. Je suis hantée par cette deuxième petite fille. Qui et comment sera-t-elle ? Quel sera son âge au moment de l'attribution ? Je sais qu'elle existe déjà quelque part, elle vit, respire, grandit sans me connaître. Son destin qui pour l'instant n'a rien à voir avec moi, avec nous, va se retrouver irrémédiablement lié.
C'est fou.

L'attribution, j'en ai fait l'expérience avec Flore. C'était tellement intense que je ne sais pas, maintenant, à quelles émotions m'attendre. Vont-elles être aussi violentes que lors de la première fois ?

Il fait bien froid ce petit matin de décembre. Avant même de faire le café, j'allume mon ordinateur.
Je m'asseois, un peu dans le potage, attendant que mon vieil ordinateur poussif veuille bien s'éveiller également.
Je vous l'ai déjà dit, j'ai toujours quelques difficultés à être en phase avec moi-même le matin.

J'ai un mail de l'orphelinat. Ca arrive régulièrement. 

 
Sauf que celui-ci, il s'appelle Alexandra.

6 commentaires:

  1. "faire le deuil de l'enfant rêvé pour faire sa place à l'enfant réel"
    enfant rêvé = une fille, enfant réel = une fille OU un garçon

    Oui j'avoue je trouve ça curieux voire" limite" que les institutions en charge de placer les enfants acceptent le choix du sexe.

    Vos lecteurs doivent savoir que la grande majorité des OAA refusent ce genre de demande, (certains peuvent entendre une "préférence", de là à le notifier dans l'agrément ou le projet de mise en relation, c'est autre chose) et qu'aujourd'hui, encore plus qu'avant, ce critère devient un frein trop important à la réalisation d'une procédure.

    Vous avez des arguments que je peux comprendre, même si je ne les partage pas.

    On poursuit l'aventure et on attend l'ouverture du fameux mail!

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    1. Le choix du sexe de l'enfant, je vous le concède, pourrait ne pas se faire. Que notre enfant soit une fille ou un garçon ne change pas fondamentalement un projet de vie, il me semble.
      En revanche, l'âge de l'enfant, adopter une fratrie ou un enfant seul et les problèmes de santé (importants) peuvent être déterminants. Personnellement, je ne sais pas si j'aurais été en mesure de construire ma vie familiale avec des jumeaux, ou une grande fratrie, ou des enfants très âgés. Peut-être que si, mais je n'en avais aucune certitude, voire même cela engendrait en moi des inquiétudes importantes.
      Je ressentais en moi, en attendant l'attribution de ma première fille, le besoin viscéral d'une relation duelle (je n'évince pas mon mari de la relation, bien sûr, je parle là juste de la relation mère/enfant). Elle me paraissait nécessaire à mon équilibre et à notre construction.
      Quand je parle de choix, en tout cas, ce sont plutôt ceux-là que je veux dire.
      Tout se discute, bien sûr. On est là dans le ressenti, l'instinct... et si c'est possible de mettre en place des choses qui vont permettre que la relation adoptive se fasse au mieux, moi, ça me paraît fondamental !

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    2. Tout à fait, l'âge, la fratrie, la santé ou une histoire particulièrement difficile sont des éléments auxquels nous devons absolument réfléchir, des choses à bien mesurer, dans l'intérêt de l'enfant et de la famille en entier.

      Pour nous, au contraire, nous ressentions l'envie d'une fratrie, cette relation duelle ne me tentait pas (sans doute peur d'étouffer un tout petit, ou bien plus certainement d'avoir trop longtemps un enfant unique).
      Un grand aussi, et finalement ce fut bien une fratrie, mais des petits! (4 ans et 15 mois), mais 4 ans c'était déjà assez grand pour être génialissime!!

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  2. Les OAA en general n'acceptent pas cette préférence de sexe, mais pour le reste, il vaut mieux etre au clair avec ses limites (age, particularités, etc). Et je serais tres surprise que ds le contexte actuel, une préference pour un sexe entraine un echec de realisation de procédure..... Cette préférence était possible dans le contexte haitien d'avant le seisme, et ds d'autres pays aussi, donc les parents pouvaient exprimer leur choix. Elle n'etait pas possible dans d'autres pays/procedures, et les parents ne l'exprimaient pas/les OAA ne l'acceptaient pas. Et voila tout.

    Par contre, je releve une petite phrase :
    "Mais je sais que je ne pourrai jamais être tout à fait comme les mamans biologiques"
    et pourquoi on dirait ca ? pourquoi on mettrait la parentalité adoptive 'en dessous' de la parentalité bio ? Pourquoi on ne dirait pas 'les mamans bio ne seront jamais comme les mamans adoptives' ?
    ou, mieux encore, pourquoi devrait on faire une gradation entre les 2 ? une maman bio ne sera jamais comme une autre maman bio, elles vivront leur maternité differement, à cause de plein de choses, idem entre 2 mamans adoptives.... Chaque maman ne sera jamais comme les autres, quelle que soit la facon dont sont arrivés ses enfants......
    :o)

    en tt cas, on a hate de suivre le reste de vos aventures !! :o)
    Sylvie, maman pas comme les autres non plus ! ;)

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    1. On a écrit la même chose au même moment, Sylvie !

      En ce qui concerne le reste de ton message, je me suis posé EXACTEMENT la même question au moment où je l'ai écrit. Tu imagines bien que je ne mets pas la parentalité bio au dessus de la parentalité adoptive. Et inversement.
      Je me suis donc posé la question. Au lieu d'écrire "Mais je sais que je ne pourrai jamais être tout à fait comme les mamans biologiques". est ce que j'aurais pu écrire "Mais je sais que les mamans adoptantes et les mamans biologiques ne seront jamais tout à fait pareilles" (ou quelque chose comme ça)... Mais non, il n'y a aucune notion de gradation dans mon propos : le "tout à fait" marque une différence, et non une infériorité ! Et je l'ai laissé car je l'assume tel quel, tu comprends ?
      Mais on peut en discuter, car le ressenti des autres mamans (adoptantes ou bio, hihihi) est important pour moi ;-)

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  3. Quoi qu'il en soit, Ernestine et Sylvie, je vous remercie beaucoup de vos commentaires qui sont très intéressants, donnent à réfléchir et lancent des débats importants.
    Merci.

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