22 avr. 2014

62 - La lune de miel

Nous entamons notre lune de miel familiale. 

Il est difficile de se défaire du mythe de l'attachement mutuel instantané, et si la rencontre avec Flore a été idyllique, je n'en suis pas moins consciente que tout reste à bâtir.
Beaucoup d'amies qui venaient d'accoucher m'ont dit – avec une pointe de culpabilité - qu'elles n'avaient pas ressenti un amour immédiat pour leur enfant à la naissance de celui-ci.
Moi, j'ai tout de suite éprouvé de l'amour pour Flore. Mais je sais que les sentiments positifs ou négatifs que l'on peut ressentir intensément à l'instant du premier contact, ne garantissent ni le succès, ni l'échec de l'attachement futur.

C'est pourquoi les premiers moments quotidiens avec notre enfant adopté ont leur importance.
Ca commence par faire l'escargot. Drôle de petite expression signifiant se replier en colimaçon sur sa famille, quelques temps, de façon à ce que l'enfant, pour qui l'attachement ne va pas forcément de soi, intègre bien sa cellule familiale de base.
Mais ce n'est pas simple : Qu'il soit biologique ou adopté, l'enchantement de l'arrivée d'un enfant est toujours très fort, et tout le monde a envie de faire la connaissance de Flore, d'apporter un cadeau, une carte de bienvenue. Les visites s'enchaînent, pour notre plus grand plaisir : Nous sommes par ces gestes traditionnels ramenés au rang de parents comme les autres, et ça, ça fait du bien.

Malgré tout, nous parvenons à préserver de longs moments à trois, et Flore semble très vite comprendre qui est qui. A mon avis, d'ailleurs, le processus a commencé en Haïti quand nous sommes allés la chercher.
Maintenant, il s'agit de l'ancrer dans son nouvel environnement.
J'imagine quel bouleversement ce doit être pour elle. Cette période me semble donc essentielle pour la suite de l'aventure.

J'ai dix semaines de congé adoption. C'est chouette, mais aussi bien court, pour un réel travail d'adaptation, si l'on met en balance les douze mois qu'elle vient de passer en orphelinat.
Alors sans tarder, avec application, conscience et amour, j'entame mon travail d'ancrage. Ca ne se dit ni ne se vit comme cela, mais il ne faut pas perdre de vue que dans certaines situations, nous ne sommes pas des parents comme les autres et avons quelques charges supplémentaires à ne pas manquer.

Certains diront que j'intellectualise trop ma relation. Dans mon métier, j'ai parfois rencontré des parents inconséquents, et j'ai vu les dégâts que cela faisait sur l'enfant. Un peu de réflexion et d'analyse ne font pas de mal, si elles n'empêchent pas de garder du naturel et de la spontanéité.
Il ne faut pas se leurrer : l'amour est primordial, mais il ne fait pas tout. Tous les trois, nous avons un monde à construire de toute pièce, et c'est à Julien et à moi d'en asseoir les fondations.

Je fais donc découvrir à Flore ce monde qui est le nôtre. Elle est contemplative et curieuse de tout. Ses premiers étonnements sont pour quelque chose qui me tient moi-même très à cœur : la forêt. Elle ramasse les feuilles et les collectionne au fond de sa poussette qui se transforme très vite en compost. J'adore lui expliquer d'où elles viennent, puis on va voir, toucher, sentir les arbres. Elle met sa bouche en rond, ouvre des billes étonnées, pointe son doigt minuscule vers les troncs et, me regardant, lance un « oh ! » aussi rond que sa bouche et ses yeux, expression de son intérêt suprême.

Chaque découverte est un partage. Le lien se tisse davantage de jour en jour, elle me suit partout des yeux, et même si je ne réalise pas encore tout à fait, même si j'ai encore un peu de mal à atterrir dans la réalité, je suis assaillie de bouffées d'amour et de tendresse, quand je la regarde, quand je l'embrasse, quand elle me sourit, quand elle me montre quelque chose, quand elle dort, quand elle s'éveille...

Et c'est tellement fort que j'ai envie de la serrer contre moi et de ne plus jamais la lâcher...

3 commentaires:

  1. une histoire, un instant de vie trés jolie et emouvant. je vous souhaite beaucoup de bonheur. je sais a quel point un enfant a besoin de trouver sa place dans une famille qui n'est pas biologiquement la sienne,

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup à vous de votre témoignage et de vos encouragements. Vous avez vécu une histoire qui ressemble à la mienne ?
      Amitiés.

      Supprimer
  2. moi je me suis concentrée sur les sens pendant mon congé, sur les conseils de la psy qui m'a accompagnée dans cette aventure. Elle m'a dit que beaucoup de choses passeraient par le sensoriel, que c'était presque animal. L'odeur, le toucher, etc. Donc j'ai passé des heures à bercer, câliner, crémer, masser, chatouiller, caresser, parfumer, écouter, parler, ritualiser tout ça … construire un cocon, une enveloppe sensorielle ritualisée douce et rassurante…. pour s'ouvrir petit à petit sur le monde… car ma poulette sinon se perdait et passait de bras en bras indifféremment et s'étourdissait à l'extérieur. Brigitte

    RépondreSupprimer

un p'tit commentaire ?