Nous montons en voiture. Elle est climatisée. C'est déjà ça, même si un peu de moiteur s'immisce par le trou de balle. (hihi!)
Julien est devant, moi à l'arrière.
Il fait nuit. Mais pas la même nuit qu'à Paris. Une sorte d'entre chien et loup, ce moment gris où l'on ne distingue rien.
Nous sortons de l'aéroport, passons devant la caserne des casques bleus, puis emprutons un grand boulevard où, malgré la nuit, des centaines d'haïtiens vont et viennent, à pied.
A un carrefour, un tape-tape arrêté en travers bloque le passage. Un groupe d'hommes se dirige vers nous. Brusquemment, le chauffeur active la fermeture automatique des portes. Je sursaute au bruit qu'elle fait. Julien devant moi, aussi. Que se passe-t-il ?
Le 4x4 démarre en trombe, slalomant entre les personnes, grimpant sur le terre-plein.
J'en reste baba ! Que se serait-il passé si on n'avait pas évité le groupe ? Peut-être rien. Peut-être tout !
Je n'ai pas mes
repères, ce qui me rend méfiante, et fâchée de l'être !
J'oscille douloureusement entre mon empathie et ma bienveillance
habituelles, et une espèce de peur irrationnelle qui elle-même me
fait peur. Je me sens fermée, lointaine, différente : est-ce
comme ça qu'on découvre les autres et qu'on va vers eux ? A
ce moment précis, je ne me sens pas à ma place, ou bien je
n'aime pas la place que j'occupe.
Mais entre la nuit sombre angoissante, la chaleur, le silence du chauffeur, le dos raide de Julien, la mêlée des centaines de personnes jusqu'au milieu des routes, le paysage en ruine, je ne suis pas sûre de comprendre où je suis.
Je me force à quitter mes pensées difficiles pour m'accrocher au présent, à l'action, dans l'espoir que cela m'aide à prendre du recul : Toujours slalomant, nous traversons les faubourg de Port-au-Prince, et pénétrons dans une sorte de zone industrielle, dont les routes sont encore plus délabrées que celle du boulevard. Les ruelles sinueuses se font de plus en plus petites, encadrées par d'inquiétants murs de tôles de part et d'autre. Des déchets jonchent le sol. Il n'y a plus un chat dehors. La lune éclaire des ornières comme des abîmes.
Mais entre la nuit sombre angoissante, la chaleur, le silence du chauffeur, le dos raide de Julien, la mêlée des centaines de personnes jusqu'au milieu des routes, le paysage en ruine, je ne suis pas sûre de comprendre où je suis.
Je me force à quitter mes pensées difficiles pour m'accrocher au présent, à l'action, dans l'espoir que cela m'aide à prendre du recul : Toujours slalomant, nous traversons les faubourg de Port-au-Prince, et pénétrons dans une sorte de zone industrielle, dont les routes sont encore plus délabrées que celle du boulevard. Les ruelles sinueuses se font de plus en plus petites, encadrées par d'inquiétants murs de tôles de part et d'autre. Des déchets jonchent le sol. Il n'y a plus un chat dehors. La lune éclaire des ornières comme des abîmes.
Où sommes-nous ?
Où allons-nous ?
Comme en écho à mes pensées, j'entends Julien demander à chauffeur :
- Donc, nous voilà sur la... route qui mène à l'hôtel ? C'est encore loin ?
- Non, non, grogne le conducteur, qui n'est vraiment pas bavard.
Et si c'était un chef de gang de Cité Soleil ?
Et s'il était en train de nous enlever ?
Et si les tôles déchiquetées qui nous enserrent étaient les paravents du bidonville le plus redoutable de la planète ?
Comme en écho à mes pensées, j'entends Julien demander à chauffeur :
- Donc, nous voilà sur la... route qui mène à l'hôtel ? C'est encore loin ?
- Non, non, grogne le conducteur, qui n'est vraiment pas bavard.
Et si c'était un chef de gang de Cité Soleil ?
Et s'il était en train de nous enlever ?
Et si les tôles déchiquetées qui nous enserrent étaient les paravents du bidonville le plus redoutable de la planète ?
Les photos du Visa
Lodge que nous avions vues sur internet montraient un hôtel de grand
standing. Il parait inconcevable qu'il soit situé dans une
zone aussi craignos !
Et pourtant, après des tours et des détours dans des ruelles toujours plus sordides, nous passons un énorme portail pour arriver dans une oasis luxueuse où l'on nous accueille avec empressement et gentillesse !
Même notre chauffeur se détend, nous gratifie d'un large sourire, comme si lui aussi était rassuré de nous avoir menés à bon port : une bâtisse coloniale, un parc à la végétation luxuriante, des bungalows, une piscine...
Le choc est de taille.
Le monde est fou !
En proie à des sentiments très contradictoires, j'essaie de me remettre en phase avec moi-même. Mais le réceptionniste parle français avec un tel accent que nous sommes obligés de lui faire répéter trois fois les mêmes phrases. Nous ne comprenons pas tout, mais de peur de le vexer, nous lui répondons « Oui, oui » à chaque fois. Sincèrement, s'il ne nous prend pas pour des benêts...
Nous dînons près de la piscine, dans un cadre idyllique. Au loin, en contrebas, nous voyons les lumières de Port-au-Prince.
Toutes les émotions et sensations me rendent muette. Nous mangeons, Julien et moi, sans rien nous dire, goûtant les spécialités haïtiennes. Il fait tellement chaud, chaud comme jamais je n'ai connu (à côté, la canicule qu'on a vécue lors de la visite de Me Marvel, c'était de la gnognotte !), et pourtant, on ne nous sert qu'un verre d'eau, alors que j'en avalerai une citerne entière.
Le stress monte. Un autre stress : Plus qu'une nuit avant de rencontrer ma fille, mais dans un tel bouillon de sentiments !
En attendant, on nous mène à notre bungalow. La chambre est grande et surtout... climatisée ! Quel bonheur de retrouver un peu de fraîcheur, alors que depuis plusieurs heures, j'ai l'impression d'être un homard bouilli dans une cocotte minute !
Julien sort fumer une cigarette, je m'allonge sur mon lit, commence à écrire notre première rencontre avec Haïti dans mon journal. Julien revient. Il l'a fumée drôlement vite, sa cigarette ; et il fait une tête bizarre.
- Non, non, je ne te dirai pas, dit-il en me regardant ; ce qui bien sûr me donne instantanément envie de savoir.
- Surtout, ne sors pas, tu vas pas aimer, reprend-il en souriant !
Donc je me lève, et prenant son bras, je l'incite à me montrer : Sur le mur du bungalow d'en face, une blatte géante (enfin, je ne sais pas si c'est une blatte, la bestiole ne me donnant pas très envie de faire de l'entomologie ce soir) étale ses dix centimètres sur le crépis et n'est pas sans me rappeler la saga d'Alien.
En effet, j'aurais préféré ne pas voir. Mais bon. Après la soirée surréaliste qu'on vient de vivre depuis qu'on a quitté l'avion, un cafard géant de plus ou de moins...
Nous rentrons au
frais, je relis mes notes tout haut pour Julien, où j'ai détaillé
nos péripéties.
necessaire, le petit fou rire, apres toute cette pression !! :o)
RépondreSupprimerC'est la que je ressens la difference entre une procedure comme la votre et la mienne, par ex. Pour nous, le voyage au Viet Nam etait un vrai voyage, dans de super bonnes conditions, aussi bien touristiques que psychologiques. Je mesure d'autant plus ma chance quand je lis vos débuts dans votre toulabalaba à vous ....
des bises et toujours aussi impatiente de lire la suite !! :o)
Sylvie
je me retrouve tout à fait dans ton récit. le périple en voiture et cette trouille qui nous met dans un état étrange...
RépondreSupprimerFlo
Ton article me renvoie 1 an en arrière lorsque j'ai débarqué à Conakry. Eh bien impossible de savoir comment on a retrouvé notre chauffeur, ni même comment s'est passée notre arrivée : trou noir total ! Du coup, je me dis qu'il faut absolument que je demande à l'autre maman adoptante avec qui j'étais....
RépondreSupprimerJe devais dans un état second, dirons-nous....
Tu me donnes envie d'écrire tout ce que j'ai oublié, mais faut d'abord que je retrouve mon passé.....
Merci